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La nouvelle vie de deux canots. Episode 1 – Decouverte et convoyage

Le petit gardien moustachu nous fait signe. En sortant des douches de la marina, avec Daniel le catalan, nous tombons sur lui. Il parle peu le français, mais le cageot retourné plein de pâtisseries, de pain et de dattes, le geste de la main vers la bouche, le mot « manger » prononcé avec l’accent du rifain parlent d’eux-même. C’est l’Aftour, l’heure de la rupture quotidienne du jeune, et ça se fait avec une gamelle de harira et une poignée de dattes. Et ça se partage.

Je ne peux pas refuser. « Assieds-toi » il dit, me montrant le flanc un peu défoncé d’un jet-ski. « Manger, manger ». Je prends une datte, il me tend un œuf dur… « non, merci, j’ai mon repas qui m’attend, mais je prendrai une pâtisserie, pour partager ce moment avec toi ». Il me file un morceau de pain. Délicieux. Mais je n’ai pas non plus envie de lui bouffer tout son casse-croute. « Chokran ! ». « Laa chokran, ne me remercie pas… ça me fait plaisir, ça fait plaisir à Dieu. Il nous a donné ça pour qu’on le partage. »

C’était après la douche du soir, qui venait après une journée de grattage, nettoyage, démontage d’accastillage et de soleil de plomb. Enfin, sur le port, ça va. Ici, l’été bat son plein depuis un mois, mais il y a toujours du vent. La preuve – mon véhicule, pour aller de Roz Avel à la zone technique – pile de l’autre coté du port, à vingt minutes à pied, en contournant le bassin de la plaisance et celui de la pêche, est mon petit voilier. Little Gu me sert de 4×4, de transporteur de matos et le soir, je me laisse porter, par le travers, pour me détendre.

Ça fait trois jours que j’ai attaqué le taf. Samedi, Simo, le grand marin-en-chef qui manœuvre le travelift, m’a mis sur cales un des deux Brenta 24 qui ont l’ambition de devenir les bases d’un pole voile ici, à Saïdia. Lundi, le deuxième a suivi. Et moi, sur le pont, avec ma trousse à outils, j’ai attaqué de front les vis et les boulons.

L’histoire a commencé il y a longtemps. En réalité, l’histoire à commencé en décembre, lors d’un couscous offert par Pascal aux plaisanciers, à la Taberna del Puerto, le QG des gens de la Marina. En aparté, Pascal nous dit, à Axel et moi, qu’il a fait l’acquisition de deux quillards de régate de 7m50, deux Brenta 24 de fabrication espagnole, sortis de chez Astrea. « Je suis en train de m’occuper des papiers de douane, fiscalement je devrais attendre le début d’année 2015 pour les faire venir. » Début d’année inch’allah. On est allés à Melilla, avec Pascal, le 5 ou le 6 juin, pour les regarder de près. Impossible de les faire naviguer à la voile jusqu’ici. Il y en a un qui n’a plus d’étai, à l’autre il lui manque une barre de flèche. Un HB Yamaha 5Ch 2T (vieille connaissance, pratiquement le même que le moteur de l’annexe de Roz Avel) a été laissé pendant deux ans l’embase dans l’eau et présente une boule de 50cm de diamètre autour de l’hélice, formée de moules, algues, berniques et à peu près tout ce qui peut se fixer autour d’une excroissance qui traine dans l’eau dans les parages. Soi-disant l’autre naviguait encore l’année dernière. Autour du premier, un bourrelet du même conglomérat qu’autour de l’embase habille la flottaison. « Je crois qu’il va falloir plonger » me dit Pascal.

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Pascal Bosson, c’est le capitaine du Port de Plaisance de Saïdia. Il est grand, belge et passionné le régate. « Je veux inscrire l’un des deux à la Semana Náutica de Melilla. Et JE VEUX GAGNER » m’a-t-il dit, une semaine plus tard, lorsqu’on est revenus en force, avec Axel et Alain, pour convoyer les bateaux.

L‘aventure du convoyage, ça nous a bien fait rigoler. On est arrivés, Pascal, Alain et moi, le lundi après midi, vers 18h (a la tarde… presque a la noche quoi). Je vous passe l’épisode du chef de groupe de la police des frontières à Nador, comme je vous ai passé l’épisode précédent du même chef de groupe de la même police du même Nador. On est allés au Yacht Club, Pascal a taillé le bout de gras avec le monsieur qui allait nous remorquer le lendemain, ils m’ont embarqué dans une taperia (que je retiens, ou le patron appelle affectueusement Pascal « el cabron de belgo » et tous les serveurs le connaissent) a attaquer la soirée à coups de tapas et de cañas. Et ils m’ont déposé devant le Hostal Rioja, petite pension tout près du Yacht Club, ou j’ai passé la nuit.

Melilla, un matin calme

Matin calme à Melilla. Café solo. Doble. Je m’en vais au Yacht Club. Ménage et rangement dans les deux canots. Vider les 15cm d’eau qui traine dans les fonds. Sortir toutes les voiles, les plier un peu mieux, les ranger un peu mieux. Mettre à la poubelle la vieille nourrice rouillée, essayer de démonter le HB Yamaha. Pas possible. Virer alors les moules. Ça, c’est fait.

Petite plongée autour des deux canots. Grattage des moules. Mais non, con, pas pour les cuire. Pour les virer de la carène des deux Brenta – dont l’un ressemble à s’y méprendre à nos vieilles connaissances des Rias Baixas – les bateas. La grande spatule s’en va au fond. Coup de bol, j’en ai une autre. Précautionneux, j’ai pris ma grosse combi de plongée, mais finalement la salopette suffit – l’eau est chaude ici. La veste restera sur son cintre. Allez, c’est bon. On y va ?

Pascal arrive de nouveau, avec Axel et Alain. « Bon, les gars, finalement on partira que demain. Le moteur de la vedette a besoin de changer sa pompe à eau, et ce n’est pas possible avant demain matin. Florin, il te reste des sous ? On va coucher Axel à la pension, avec toi, et nous on rentre, moi je dois être à Saïdia ce soir. » « OK patron, no pasa nada. On y va demain. Mais de bonne heure, après ça se lève. »

Faut dire qu’à cette époque de l’année, en prévision du ramadan, un deuxième changement d’heure au Maroc les met à 2H de décalage par rapport à l’enclave espagnole. 8H ici, c’est 6h à Saïdia. Nos camarades seront partis à 5h du matin, accompagnés par un Abdelilah tiré de son lit qui les dépose à la frontière. Alain et Pascal arriveront vers 10h, au final, pendant que moi je cherche un bidon d’essence sur les hauteurs de la ville, sans m’être aperçu qu’à deux pas du port il y avait une grande station CEPSOL… Ça y est, Alain et Pascal à bord du Brenta vidé de son élevage de moules, nous a bord de celui qui a un HB fonctionnel, et c’est parti.

Le HB ronronne gentiment au cul de notre Brenta. On recule le deuxième à la main, hors du cat-way. Aaaah… des cat-ways… j’avais même oublié que ça existait. Nous, on recule. On envoie un bout, on les tire et gentiment, à 2nds, on embraye en direction de la sortie des deux digues, là ou le Maroc et l’Espagne, de gré ou de force, partagent le grande rade des ports de Melilla et de Nador. Pour nous, coté marocain. La vedette nous attend au large, elle n’a pas le droit de remorquer des bateaux dans le port. Petit coup de fil de la Marine Royale marocaine à Pascal. « Je vous vois, vous êtes partis tard… » C’est qu’on est attendus et suivis. Allez, on attache ça aux forts taquets de la vedette et on y va. Sur un vrai lac.

Au fur et a mesure que nous avançons, le vent commence tout doucement à rentrer. Sur le bateau d’en face, ça débouche la bouteille de Rioja. Attachés court, Pascal et Alain sont bien partis pour passer six heures au fumoir, comme des harengs, dans l’échappement de la vedette… Chez nous, Axel attaque un sandwich au saucisson. La technique de coincer le stick de barre… « regarde, Florin, sans les mains ! Sans les mains ! »

On s’approche des Islas Chafarinas. La mer se creuse de plus en plus… « Putain, on aurait du partir deux heures plus tôt » Axel ne rate pas l’occasion de râler. En passant entre le Cap de l’Eau et les Chafarinas, arrêt buffet ! Le bout de remorquage de nos compagnons de route casse net. Comprends rien… Dans les vagues, le nez du Brenta 24 fait des bonds d’un bon mètre. Cachés par la vedette, on voit juste un grand SPLASH, Pascal se précipiter à l’étrave et quelques secondes plus tard Alain émerger de l’eau, trempé. Notre canot, lui, HB démarré mais au point mort, se fait doucement pousser autour du remorqueur au point d’enrouler l’aussière autour de son embase d’hélice… Fallait bien qu’il y ait un peu d’aventure, quand même !

Manœuvrant doucement, on arrive a se dégager sans casse. Les copains d’en face changent de bout de remorquage et c’est reparti. Allez les gars, on se rapproche… « Marina Saïdia, Marina Saïdia, ici Pascal, vous me recevez ? A vous ! ». « Marina Saïdia, Marina Saïdia, ici les Brenta 24, nous nous rapprochons de l’entrée du port, vous nous recevez ? A vous ! ».

A force de s’époumoner, un coup les uns, un coup les autres, on commence à avoir des réponses. Les gars se réveillent, organisent le « comité d’accueil ». On rentre dans l’avant port, on démarre le HB, la vedette largue notre aussière et traine le Brenta des copains jusqu’au ponton. Nous, de notre coté, on fait pareil poussés par le petit Tohatsu 3,5. Allez, on est à poste.

Les gars nous aident à l’amarrage, la vedette coupe le gaz, l’Oceanis 323 qui nous accompagnait sort une bouteille de bière. « Una cervecita ? ». Dans mon sac a dos, j’avais mis de coté une canette d’Estrella Galicia. Pour le souvenir. Les autres reçoivent un verre de la part du capitaine du voilier. Ouf, on est arrivés. Petite visite des autorités. Curieux, les douaniers, la police des frontières, les gendarmes passent leur tête dans la descente des deux canots, pour constater à quel point c’est spartiate à l’intérieur. « C’est ça, les Laser ? » Non, les gars, ce sont des Brenta 24. Mais c’est presque trop tard… depuis, régulièrement, chaque personne du port qui passe devant les appelle pareil. « On sort les Laser demain ? » C’est pas gagné…

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Le lendemain, début de ramadan. Le premier des « Laser » retrouve une place sur le terre-plein. Démâtage sportif, à la main, à l’aide de plein, plein de monde. « Merci, bravo les gars, on n’a rien cassé. » Simo, à la manœuvre, tout fier. « Technique et tactique ». Depuis, le sistership a trouvé, lui aussi, son ber. Et moi j’ai trouvé le grattoir, le papier-verre, le bidon d’acétone, le trousseau de clés. C’est parti !

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Au prochain numéro, après le tirage, on passera au grattage. Bien à vous.

2014, une année de navigations et de rencontres. Bilan tardif d’une année trempée dans l’eau salée

2014 a été une année remplie de belles navigations. Ça tombe bien, je n’ai aucune idée quand est-ce que l’équipage de Roz Avel refera de ces belles glissades sur la houle atlantique, poussé par la Nortada portugaise. Je ne sais tout simplement pas quand Roz Avel sortira par la passe du port de Saïdia… un jour, peut-être. Probablement pas en 2015. Mais j’ai promis un bilan… allons-y alors.

Après un hiver galicien humide mais rempli de découvertes et d’amitié, après un printemps de régates acharnées avec nos amis de la Liga Caravelle, la bande du Nautico Rodeira, nous sommes descendus vers Viana de Castelo, Porto, Lisbonne et l’Algarve dans un train d’enfer que mes billets de blog ont un peu raconté, ici.

CristinaCristina nous a accompagné sur une partie du chemin. Adi sur un autre tronçon. Adi CoUn Portugal qui nous a conquis, que nous avons parcouru trop vite, avec un arrière-goût de reviens-y, s’est terminé par un farniente d’une dizaine de jours à Ferragudo, en Algarve.

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Ça nous a donné l’occasion de vider quelques pichets de Sangria en compagnie d’amis, nos amis suisses de Paquita, avec lesquels nous avions pris l’habitude de passer la soirée dans un rade du village. Ça nous a donné aussi l’occasion de croiser Henri, que nous ne croyions plus revoir en 2014, et qui a fait son apparition dans le mouillage de Ferragudo, un soir de juillet, en silence et en douceur.

Une journée et une nuit de navigation au moteur nous ont porté vers une Lune_CadizAndalousie atlantique qui nous a charmée (ah, Cádiz, grâce à Sofi et Jaime nous aurons découvert la belle et ses yeux de velours…). Tout donne envie, dans ces contrées, et nous n’avions fait qu’effleurer cette côte ventée et rocheuse, avec des paysages magnifiques (somptueuse, Tarifa, terre d’arrivée des maures en Andalousie, magnifique côte du coté de Barbate et de Chiclana).

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Après un passage du Détroit en toute tranquillité, arrivés en Baie d’Algeciras, nous voilà en Méditerranée, ou nous avons passé l’été. Sous le soleil, exactement.

IMG_0252Le soleil andalous, entre Gibraltar et Caleta de Velez, entre la Baie d’Algeciras et Malaga. Le « blast », le seul, aura été Grenade, y compris le voyage en bus depuis Caleta jusqu’à la cité arabo-andalouse. Au milieu des cols de la Sierra Nevada, par là ou se trouve la station de sports d’hiver la plus au sud d’Europe, nous profitions des perspectives sublimes sur cette mer d’Alboràn qui ne nous a pas tellement porté chance. Perkie, le pauvre gars, est sorti pour de bon de sa vie de bon fonctionnaire, pour devenir un « workaholic », au rythme de 10 h par jour, quasiment à chaque sortie. Les voiles ? 02 brouillard2« En vacances », avez-vous pensé ? Ben non, se faire secouer par la petite houle sournoise qui vient de tous les cotés, le vit-de-mulet qui claque, les pitons qui tiennent les poulies des palans de bôme… tout fatigue dans ces conditions, le gréement, l’accastillage, les voiles et l’équipage. Un peu de repos, les gars, ça va, on se calme… Et puis le brouillard… Adi et Roxi peuvent en témoigner, ça fout la trouille, des fois, ma parole, comme par exemple en sortie de la baie d’Algeciras, au milieu de dizaines de gros cargos, entre les ferries qui sillonnent le détroit en direction de Ceuta ou de Tanger (putain, merde, c’est quoi ça… d’où il vient, ce bruit de corne de brume ?)

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A Fuengirola, en Andalousie, Roz Avel a reçu à bord une joyeuse bande – famillele frangin, son epouse et les deux « djeuns ». Ils sont arrivé avec leur rêves de visite andalouse, de soleil et de plage. Nous avons passé deux semaines ensemble, vacance, balade, visite de Grenade et de Velez Malaga, plage à Fuengirola et à Caleta, sardines, chipirones, bière, sangria et vin blanc. « Un peu trop de bière et de vin blanc » dirait l’armatrice. Pas assez de navigations à la voile, dirait le capitaine. Nous les avons accompagné à Malaga quinze jours plus tard, et nous avons vu le bateau se vider… d’un seul coup, il n’y a eu que Gin et nous, nos angoisses, nos idées noires… ça faisait drôlement vide.

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A Estepona, nous avons appris que « gallegos y asturianos son primos y hermanos » – c’est une des filles du bureau du port qui nous l’a dit (« yo soy de Asturias » qu’elle nous a dit, en nous offrant une bouteille de vin rouge). A Fuengirola, nous nous sommes faits des copains. Nelu et Ela, deux restaurateurs roumains, installés sur le port, beaux, jeunes, sympathiques, nous ont fait le plaisir de partager une empanada gallega à bord de Roz Avel. Ils nous ont même fait le plaisir d’introduire l’empanada sur leur carte… sous le nom d’empanada Nathalie… Nous avons été reçus comme des amis par l’équipe du port, qui nous a fait une réduction inespérée sur le tarif (l’été, en Andalousie, c’est l’enfer brûlant de la plage, l’enfer sonore des boites de nuit, et l’enfer financier des prix haute saison dans les marinas – le comble, Sotogrande, à pratiquement 90€ la nuit), nous ont présente un galeriste local, tenté de nous aider a sortir la tête de l’eau. Sans beaucoup de succès, faut dire, alors nous avons mis le cap au sud. Après 24 heures de navigation parfois pénible, parfois agréable, la moitié au moteur, la moitié à la voile, nous arrivions au petit matin devant le Cap des Tres Forcas, derrière lequel se niche un petit bout d’Espagne en terre marocaine – Melilla.

Bon, c’est vrai, pour une fois, on a décidé de faire des vrais quarts. On s’est partagé la nuit en parts de trois heures, en se disant que plus que ça, sans pilote et au moteur, ça serait pénible. Mais dès la fin de la journée, on a commencé a avoir du vent. C’est bien, c’est qu’il nous pousse bien, vers le Sud. « Ce qui est moins bien, c’est que à ce rythme là, on finira à Al Hoceima. Je te signale qu’on va à Melilla, nous. ». Dernière partie de la nuit, tout seul dans le cockpit. Je n’ai pas eu envie de réveiller Aglaé. J’ai juste traîné, comme ça, à la barre, a surveiller les cargos et les gros chalutiers. Le vent s’est bien levé, il nous a donné du 15 à 18 nœuds, du nord-ouest. J’ai empanné au poil, à l’endroit ou c’était prévu. Le vent a du empanner aussi… parce qu’en fin de compte on s’est retrouvé pratiquement vent arrière, mais sur l’autre amure. Chouette…

A un moment donné, un « sapin de Noël «  me fonce dessus, par derrière. C’est quoi ça ?

Visiblement, « ça » c’était un gros paquebot de croisière. Genre Costa Concordia. Ou un ferry, mais alors, immense. Plus tard, à Melilla, j’aurai compris. Les ferries, c’est pas ce qu’on connaissait en Bretagne, entre Quiberon et Le Palais. C’est des gros. Vraiment gros. Pour être sur de mon coup, j’ai fait un 360°, en lui laissant le passage. Vas-y, file, que j’te voie plus. ‘Nfoiré, vas…

Au petit matin, le vent forcit sérieusement, dépassant allègrement les 20 nœuds. Mais surtout, il tourne. Le thermique du matin, composé avec ce qui reste de vent synoptique plus l’effet Venturi du Cabo Tres Forcas, fait qu’on se prend le vent par le travers. Pour l’instant, c’est nickel. Mais dans une demi-heure, on va devoir virer pour descendre sur Melilla. Et là, c’est dans le pif. 20 à 22 nœuds. Une mer courte, bien pourrie, comme seule la Med sait nous concocter. Des vagues abruptes, il y a peu de fond par ici, et plein de bateaux de pêche, je ne sais pas d’où ils arrivent mais ils arrivent. Puis la VHF… « llamada general, llamada general ». Par ici, les avis aux navigateurs parlent surtout de « 15 personnes, dans une embarcation pneumatique, à la dérive au droit de l’ile Alboràn »… ça, c’est clair. Des candidats à la traversée vers l’Eldorado européen. Faites gaffe les gars… il y en a eu, des noyés en Med, ces dernières années. « Llamada general… ». Et nous, on passe les jetées d’une grande rade, qui abrite Melilla et le port de Nador, à Beni Ansar. L’un, plus chic, sous la surveillance d’une imposante citadelle. L’autre, poussiéreux, des cargos rouillés qui chargent et déchargent, un ferry, et des énormes grues. Ben oui, Nador, ce n’est pas un port de plaisance… là-bas, c’est le boulot, mec, t’as vu ?

Melilla, c’est déjà l’Afrique, tout en parlant espagnol. C’est une petite ville colorée, un mélange d’architecture militaire de la fin du XVIIIème et XIXème siècle, vilaine et grise, d’immeubles d’appartements décrépits des années 50 ou 60, de petits logements populaires colorés habités par des marocains de touts ages, qui parlent entre eux espagnol. Melilla, derrière une « fortaleza » médiévale qui défend le port, avec une tour de contrôle du trafic maritime impressionnante, surtout au regard des trois ferries et d’un ou deux petits cargos qui croisent dans le port espagnol, sans compter ceux qui s’en vont à Nador, sa voisine marocaine.

Melilla est surtout la deuxième ville espagnole après Barcelone pour ce qui concerne l’architecture 1900, ce « El Modernismo » ibérique qui a eu, en Catalogne, son illustre représentant, Antoni Gaudi. A Melilla, c’est Enrique Nieto, un élève et ancien collaborateur de Gaudi qui a œuvré, après s’être installé dans l’enclave africaine en 1909. Il finit par y prendre racines, pour devenir architecte en chef de la ville en 1939. Autant en Catalogne « El Modernismo » s’est surtout développé dans les années 1900, autant à Melilla c’est pendant la deuxième guerre mondiale que ce style architectural s’est illustré – pendant la période de gloire du « protectorat » espagnol sur le Rif. Des œuvres empreintes d’art nouveau, la cité africaine en est pleine, depuis les immeubles bourgeois du centre-ville jusqu’à des maisons plus modestes des quartiers périphériques, qui s’étalent jusqu’aux les contreforts arides du Djebel Gourougou.

Les subsahariens. Il y en a un peu partout à Melilla, de ceux qui ont en leur possession le fameux sésame, le statut de réfugiés, à ceux qui se cachent dans les parcs, passent la journée dans un bout de la plage toujours à l’affût du moindre véhicule de la Guardia Civil et qui dorment sous le pont qui enjambe l’oued, cette vallée sèche qui doit, l’hiver, devenir d’un coup un puissant torrent, sous les pluies violentes qui tombent par ici. Les nuages noirs de l’hiver sont renvoyées par le Gourougou depuis les côtes atlantiques, l’entonnoir de Gibraltar renforce les vents, et entre Ceuta et Oran, les coups de l’Ouest sont d’une grande violence (maintenant, on le sait…). On les sent jusque dans la magnifique avenue flanquée par de superbes palmiers du centre-ville de Melilla (son nom ? Je ne me souviens plus… Un général quelconque…)

Ville de garnison, la plupart des rues portent le nom d’un général, d’un colonel ou d’un amiral espagnol. Parmi eux, deux exceptions notables : j’ai vu une rue Lyautey, résident général de France au Maroc à l’époque de la guerre du Rif, et une rue Abd el-Krim, le grand adversaire, ce grand leader rifain, adversaire farouche des colons espagnols et français, fondateur de la République du Rif en 1922 – qui a fini par rendre les armes (Pétain avait, depuis, remplacé un Lyautey démissionnaire, et les espagnols avaient dépêché dans le Rif José Antonio Primo de Rivera himself, ainsi qu’un jeune général ambitieux et sans scrupules, un certain Francisco Franco – que du beau monde, des gens qui n’ont pas hésité a employer, pour la première fois contre des populations civiles, du gaz moutarde).

Nous sommes resté deux semaines à Melilla. Nous y étions bien, même si depuis Cadiz nous n’avons plus retrouvé cette ambiance de ports de voyage, ces liens avec des équipages arrivés de nulle part, cette franchise des poignées de main et de la tape dans le dos, l’amarre tournée autour du taquet à l’arrivée et la phrase fatidique, au bout de dix minutes de discutaille au coin d’un ponton « tiens, venez donc à bord, qu’on se fasse un café ». La Méditerranée n’est plus comme ça, les ports sont des villages, les gens y gardent leur bateau en signe extérieur de richesse, le sortent une quinzaine de jours par an et le reste du temps y viennent, passent un coup de jet sur le pont, invitent les amis et la famille à l’apéritif et passent leur dimanche sur les terrasses qui longent les ports. Nous n’avons pas aimé la côte andalouse. Quoi, ça se sent ? Peut-être que Melilla est différente, parce qu’africaine… peut-être que les drôles de zèbres qui traînent sur les bateaux du coté du quai des visiteurs ont, plus que ceux de Fuengi, de Benalmadena (oooh l’horreur!) ou de Sotogrande, la culture du voyage. Melilla, si, nous avions aimé.

Un joli article de Jill Schinas, de Mollymawk sur Melilla, ici (en anglais). Un autre sur les particularités du port de Melilla ici.

Au saut du lit, je sors le chien. Je fais rapidement un tour en ville, pour acheter deux bricoles oubliées, pour faire quelques photos. C’est vrai, quoi. On est ici depuis deux semaines, on n’arrête pas de parler d’un reportage vidéo qu’il faudrait monter aux petits oignons, je me dis – à chaque passage en ville – « tiens, la prochaine fois faut pas que j’oublie mon matériel de dessin » et au final, on s’est contentés d’une série de photos, prises au saut du lit, à 7h30 du matin, juste avant le départ. Ben oui, c’est vrai, quoi !

Bon, maintenant, faut qu’on y aille. Mollis devant, largue tout, j’ai laissé filer la pendille. Coup de gaz, le bateau pivote un peu… c’est génial, le pas d’hélice, quand on sait s’en servir. Ca y est, on est partis. J’ai dit, au gars du port. « Nos vamos a Saïdia. Hasta el año proximo, hombre. » Je ne me souviens pas, mais ça ne m’étonnerait pas qu’il m’ait répondu « inch’allah »

Un peu d’air… chouette. Aglaé, on envoie tout. Ouf, c’est pas la même chose qu’en Andalousie. Au moins, il y a un peu de vent. On a calculé. 36 Nm, environ 6 heures… Bon, pour l’instant, on fait du 3,5 nds. Ça fera plutôt 12h… mais ça va se lever un peu plus, tout à l’heure.

Chose dite, chose faite. Dis, tu vois le gros nuage noir, qui vient, depuis les montagnes, vers Nador ? C’est quoi cette histoire, il vient sur nous, alors que le vent souffle depuis l’ouest… C’est quoi, cette histoire ?

Bon, au moins on avance. On file à 5,5-6 nœuds, et on a une petite renverse de courant qui nous rajoute un demi nœud. Ben oui, par ici on sent un peu les marées. Tu vois les cailloux, la-bas, ce sont les Iles Chafarinas. Ou Zafarinas. La pointe qui s’étire vers le caillou le plus gros, c’est Ras el Ma. Ou Ras el Kebdana. Ou le Cap de l’Eau. On va essayer de passer entre les deux.

« Capitaine, ils ne vont pas nous emmerder, les espagnols ? On a déjà envoyé le pav de courtoisie marocain, et on passera dans les eaux espagnoles à nouveau ? »

« Non, tinkiett. J’ai regardé sur la carte. La limite est entre les deux, en théorie au milieu, mais bon, pour les 500m qui risquent d’être litigieux, ils ne vont pas nous chercher des noises… Ce qui m’emmerde, plutôt, c’est le gros nuage noir, là-bas. »

Là, ça sent le gros méchant grain.

« Aglaé, on affale la Grand-Voile. On laisse le génois déroulé, on verra bien. Moteur en marche, et on va y aller comme ça. T’as vu le bordel qui nous tombe dessus ? Je n’ai aucune envie de me retrouver sous 40 nœuds, entre le Cap et les Chafarinas, a être obligé de mettre le bateau bout au vent pour prendre un ris. J’ai regardé, il y a très peu de fond entre les îles, je n’ai pas confiance. »

Nous, on affale la voile, le grain dévie vers le côte, et le vent s’en va. Et nous arrivons à Saïdia, dans le ronronnement de Perkie.. Voilà, c’est fait.

La suite des événements – on la verra venir, tout doucement. Une semaine après l’arrivée, le port de Saïdia est le théâtre du rassemblement de quelques voiliers venus pour un rally associatif, plus qu’une course – le Tour du Maroc à la voile – dans le port, journée visite, des enfants des écoles un peu moins favorisées du coin viennent découvrir le milieu de la voile. Avec Little Gu, on propose notre participation – on y promène des petits marocaines (et aussi deux petites filles, qui à la fin, dans les petites risées, criaient pressées de retrouver leur copines « fissa, fissa »… l’ambiance Grand Largue nous manquait un peu). Vue sur Mer Maroc et l’association les Voiles du Partage (organisateurs de l’événement) sont contents, entre Hobbie Cat, Jet-ski, notre canot et des Optimist, les gosses auront passé un bon moment. On se retrouve le soir à un couscous à la Taberna del Puerto.

RozAvel_Ons_blancLTLe mois de décembre, avant Noël, je m’en vais à Timisoara, pour fignoler et gérer l’impression de son carnet de voyage sur la Galice. Dans la foulée, une expo à deux voix et quatre mains, avec mon ami Dorin « Kiru » Chis, les aquarelles du marin et les photos du voyageur, sur le thème de la mer, normal. Soirée débat et projections de films, avec Lucian Ionescu, sur son expédition de 7 mois en kayak de Giurgiu, Roumanie, à Venise, et avec captain Florin sur la croisière de Roz Avel autour de la Galice. Soirée encore plus exceptionnelle après la fermeture, dans un troquet d’Oradea, avec Kiru, Lucian, Pilgrim et Sebba, des amoureux de l’aventure, des passionnés de la mer, des convives formidables et… ben quoi, des amis, ma parole.

L’année 2014 s’est, somme toute, bien terminée. L’année 2015 commence mal, mais ça, c’est une autre histoire.

Bien à vous

Le capitaine

Considérations hâtives, fin de série au Portugal. Roz Avel sort du pays du « bacalhau ».

Troisième partie – Lisbonne – Cadiz. « T’inquiète, Flo, une fois que t’auras tourné à gauche, tout change».

Caraï ! Même les prix des marinas…

Lisboa, la ville des poètes, du tramway qui grimpe les montagnes, de la Torre de Belem (dans une bouche de lusophone, ça donne à peu près B’leym… ), des grands voyageurs en partance poussés par les alizés, mais aussi la ville des quartiers populaires d’Alfama, le véritable hub urbain Caïs de Sodre – gare de metro, de train et station de bus qu’on avait déjà connu à force d’y venir un câble de 10mm sous le bras – des rives du Tage, ou reposait tranquillement un Mousquetaire Club en cours de restauration. Lisbonne et tout le Tage, c’est une destination de croisière à part entière. Vous filez vers le fond, vers la Marina Parque de Naçoes, ou vous longez la rive sud (la gauche, celle de la statue qui rappelle Rio – « quand on monte la-haut »), et si ça ne vous plaît pas, vous filez au fond du bras du Tage qui remonte du sud, vers le port de pêche de Seixal. Vous plantez la pioche dans la vase de l’estuaire et vous filez manger une dorade grillée. Ou des sardinhas, selon les envies… On n’a pas eu le temps de le faire, pressés comme on l’était d’arriver en Algarve, mais on a proposé à Adi, notre équipier pour une semaine, de traîner un jour de plus. « Îmi convine perfect » (ça me va parfaitement) m’a-t-il répondu, dans son roumain souriant de petit gars de Bucarest, arrivé à bord avec un regard d’enfant devant un sapin de Noël. « Ce garçon me plaît », j’ai pensé, tout de suite après ce bref échange de propos. On a embouqué le Tage, depuis la forteresse Sao Juliao, et on a pris, tout d’un coup, plein les yeux. De Cascais à Oeiras, la veille, on avait déjà eu un bref aperçu, mais là… Woauw !

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On est passés le long de la Torre de Belem avec les yeux écarquillés, a voir ce symbole de tant de découvertes maritimes. On a vu la statue des navigateurs, œuvre particulière mais qui interpelle et parle aux marins des marins. On est émerveillés devant ce front de mer beau comme un plat de « Bacalhau à la Gomes de Sà », alors que tout d’un coup, un trois-mats portugais nous passe devant, toutes voiles dehors, vers la sortie du Tage, comme des milliers de ses comparses ont du le faire il y a à peine une cinquantaine d’années, pour chercher ce même bacalhau sur les bancs de Terre Neuve. Anita Conti en est témoin, elle qui racontait dans les années 50 que sur les ondes radio, lors d’une des dernières campagnes de la Grande Pêche au Grand Nord qu’elle a pu suivre, on entendait surtout parler les pêcheurs portugais ou basques.

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mardi, 31 juin, 09h30, Lisboa, Doca de Alcàntara Lat 38 42.1035 N, long 9 10.1556 W

Météo du matin, sur ZyGrib. Nébulosité 86 %, possibilité de précipitations. Vent du NW 8-10nds, forcissant 12 à 15 et tournant NNW en journée, 15 à 17nds en soirée. Grand soleil après 15h. Route théorique pour Sesimbra – après la bouée verte N° 1 route au plein sud sur le Cabo Espichel (175-180°), ensuite plein Est (88-90°). La réalité sera un petit peu différente, mais pas tant que ça…

A 13h15 on s’approche d’Espichel à la vitesse grand V d’environ 6,5nds. Le vent nous aide bien, et le courant portugais qui pousse au sud est avec nous. On a déjà calculé qu’il faudra empanner après Espichel, mais il faudra une super stratégie d’arrivée pour savoir à quel moment – je n’ai pas envie de faire des dizaines de virements, ce qui me plairait est une manœuvre et ensuite de filer sur un seul bord jusqu’en face de Sesimbra. La bizarrerie de ces eaux fait qu’en tenant un cap GPS (je ne te parle même pas du compas magnétique, c’est le bordel total) de 165° on fait du 180°, alors je prolonge le plaisir. Faut dire que plaisir il y a, sous le soleil (oui, oui, exactement) a se faire pousser les fesses à 6,5noeuds et a surfer gentiment sur les vagues. Bondieu, j’espère arriver dans le port avant que la nortada se mette a fond au boulot, il paraît que des hauteurs de Sesimbra il y a de ces rafales catabatiques qui descendent… Bon, ça y est, on vire. Adi, fais gaffe, tu le feras avec moi. Aglaïa, tu suis quand même le mouvement, au cas ou j’aurais besoin d’aide ? 14H20. Bon, c’est prêt ? On empanne… NICKEL !

Le souci, ce fut après. Devant le port, une ligne balisée par deux balises jaunes, de celles qui montrent aussi les filets au thon, ou les cables sous-marins. Passe-moi la VHF, Aglaïa. « Marina Sesimbra, Marina Sesimbra, this is Sailship Roz Avel, do you read me ? Over ! ».

Marrant, quand même, de trafiquer à la VHF en anglais. Heureusement que je parle anglais… faut dire que mon portugais est un peu laborieux, pour l’instant, et que la génération 30-40 ans ne parle pas souvent le français. Bon, on s’en fout, ça répond.

« J’aurais besoin d’une place pour la nuit, est-ce que c’est possible ? » « Quelle est la longueur de votre bateau ? » « 13m » « C’est OK, vous rentrez dans le port et le mRinero vous montrera la place. » « Moito obrigado ». Et ces putains de bouées jaunes ? « Marina Sesimbra… » Je pose la question qui nous brule les lèvres. « The yellow buoys in front of the entrance, can we pass through ? » « Well… well… I think you can… ». En attendant, une demi-douzaine de pêcheurs de Sesimbra, dont certains bien plus longs que deux Roz Avel réunis, passent allègrement entre les machins… bon, je crois aussi que c’est possible…

Rentrée dans le port, les bouts des pare-bats entre les dents. Ça y est, la nortada est sur mon dos. Et c’est clair, aussi bien Nick Ellis que le guide Imray l’ont dit, les rafales tournent autour de 27-30nds. Chiant, quoi… Le marinero me montre une place. Il aurait pu choisir plus cool… deuxième après l’entrée, après un gros bateau bizarre, des rafales latérales du mauvais coté, celui ou le pas d’hélice m’envoie directement dans un Océanis 441 flambant neuf… du premier coup, ça ne rentre pas. Deux coups d’hélice plus tard je me présente pile dans l’axe de l’espace entre les cat-ways. Un coup de bourrin, une rafale. Ça ne le fera pas. « Mets du gaz » me dit l’armatrice. « Ben tu vois que ça ne passe pas… je refais un tour. » On y va, dans le mauvais sens, celui ou il me faut deux longueurs de bateau pour pouvoir tourner. Bref, on revient à la charge. Le marinero a l’air stoïque, il en a vu d’autres. On se remet dans la passe. « Mets du gaz, j’te dis. » J’y vais, j’en ai marre et je sais que ça ne sera pas mieux plus tard, ou alors faut attendre neuf heures du soir. Et scrrrraaaaatch… « Tu fais chier, on a rayé la coque, tout du long ! ». « Ben t’avais qu’a mettre les pare-batts mieux que ça » dit le capitaine, de mauvaise foi comme d’habitude. Ça y est, l’engueulade commence. N’empêche que là, la belle peinture de chez Adolfo Gallego est bien esquintée… tant pis, on fera ça un jour, comme l’étrave.

Adi fait le juge de paix. « Allez, on va en ville et on verra tout ça plus tard. »

Un tour dans Sesimbra nous met de meilleure humeur. Ville de pêcheurs, mais ville touristique aussi. Des petits restaurants traditionnels se mélangent aux lieux plus sophistiqués, des maisons anciennes typiques du nord-Portugal aux constructions des années 70-80 – un front de mer bigarré et hétéroclite, l’intérieur de la ville magnifiquement portugais et les petits bars des hauteurs de la ville donnent envie… dommage, ils n’acceptent pas que Gin rentre avec nous. Alors on se rabat sur la terrasse d’un papy, « t’as vu, en bas, celui qui avait le menu sur une ardoise, écrit maladroitement, avec le bacalhau à 7,5€ ». Y a plus de bacalhau ? Bon, ben tant pis, ce sera ne dorade, un verre de vinho verde et puis au lit. Les caracois, Adi, tu les auras plus tard.

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Mercredi, 2 juillet, 7h30, Sesimbra (qu’on doit prononcer SeZimbr’, pour se faire comprendre) Lat. 38 26.3394 N, long. 009 06.5741 W

Météo de ZyGrib, la veille au soir. Vent 9-15nds du NE, nébulosité 3,8 %, quelques gouttes possible. Tournant NNW 16-17nds autour de midi

forcissant 20nds à partir de 14h, faiblissant après 20h. Temp. 16° le matin, 20° dans la journée. Visi. >10nds, Baro 1015.

Départ théorique pour Sines, changement de cap pour Setubal aux alentours de 9h30

Départ en fanfare pour Sines, une trentaine de miles plus bas. Le vent nous pousse allègrement dans la mauvaise direction. Sur la fausse panne, les moins de 8 nœuds font battre les voiles, et on sent d’ici qu’on va etre devant Sines, au milieu des cargos, en pleine nortada. Les gars, si on allait dans la baie de Setubal ?

Troia Marina, partenaire avec nos amis de Porto, nous font 20 % de remise. Ca devrait aller, non ?

OK, c’est parti. La route longe ce que Nick Ellis appelle « one of the most dramatic anchorings in North Portugal ». Le mouillage de Portinho de Arrabida s’étire sous une falaise impressionnante. Le souci, c’est qu’il y a un banc de sable qui barre l’accès, qu’il faudrait avoir une carte détaillée du lieu, récente si possible, qu’il faudrait avoir un tirant d’eau de 1,50 comme le Bavaria de Nick Ellis, qu’il faudrait avoir un peu plus de courage et s’y présenter au bon moment de la marée. Moi, ce matin, rien de tout ça, alors on emprunte le chenal de la Ria de Setubal. Attention les gars, a pas rater les premières bouées – la grande étendue d’eau devant nous mesure moins de 1,20 à marée basse. Et nous, on y est presque, à marée basse… on s’y est présentés en début de flot, pour monter avec le courant dans le dos. Donc au moment ou on voit les chiffres du sondeur baisser dangereusement, je me dis « merde, gars, fais gaffe ! ». Je regarde un peu autour, j’étais en train de filer à droite de la première verte… Vite, un coup de barre, et le problème est réglé.

Pour le reste, on est au Portugal, magnifique et décrépit, un superbe établissement balnéaire sous la forme d’une extension d’un superbe château surplombe le chenal d’entrée dans la Ria et 500m plus loin, une horrible cimenterie envoie sa poussière sur le plan d’eau. La montagne est superbe, mais les cargos rouillés qui font relâche dans le très actif port de commerce qui est Setubal passent au ras du château… « Est-ce qu’on aura tous les deux de la place ? » se demande l’équipage, les yeux sur la masse d’acier qui déboule, derrière un petit bateau pilote… et ça passe. Ouf !

Derrière une plage immense, coté tribord, sur la rive d’en face, Troia Marina. Moderne, devant des immeubles « design », la voix dans la VHF m’indique le ponton d’attente. On va aux bureaux. Une fois la douloureuse (assez salée – 49€ après déduction de la remise, quand même) payée, le marinero nous propose une place juste en face. Encore une fois, demi-tour sur le mauvais bord… bon, on y est, la marina est large… le gars nous attend sur le ponton, nous fait signe, avance, capitàn, avance, Aglaïa saute sur le ponton avec la « cravate »à la main, avance capitàn… MERDE ! L’ANCRE !

A la barre, impossible de voir que juste devant l’étrave, l’ancre de Roz Avel était en train de défoncer la borne électrique du ponton… et ce gosse qui me disait d’avancer… Bon, pas grave, avec Adi, on sort une trousse de tourne-vis, les gosses se précipitent avec deux ou trois lattes pour remplacer les bouts cassés du ponton, la borne remise à la verticale en 10 minutes est à nouveau opérationnelle. Désolé les gars…. No problema capitàn, ça arrive… Les portugais sont tellement gentils…

Troia Resort est une petite station balnéaire ultramoderne, pour portugais friqués et touristes scandinaves. Tout ce qu’on déteste (pas les portugais et les scandinaves, quand même). Et pourtant, une fois dépassé le dernier immeuble aux longs balcons en verre, une zone lagunaire s’étend, qui va nous accompagner le long de la côte presque jusqu’à Sines, demain matin. Un petit plan d’eau, une énorme zone humide, une superbe dune qui la sépare de l’océan, et nous voilà, Gin et moi, dans un univers en totale rupture avec les hôtels et appartements touristiques qu’on vient de laisser derrière nous. On se régale a se balader entre les pins et les roseaux (surtout moi) et a trimbaler des bouts de bois longs de deux mètres dans la gueule (surtout Gin). Allez mon gars, il est temps de se coucher. Demain, on a une belle tranche de nav a faire.

Quelques petites courses. Adi nous régale d’un magnifique risotto aux funghi porcini, agrémenté par des copeaux d’un morceau de parmesan qu’il a apporté lui même, de Parme, ou il travaille « pour que les agents de la commission européenne puissent aller sur FaceBook tranquilles », comme il m’a dit un jour. Si ce n’est pas l’équipier parfait, ce garçon , j’m’y connais plus…. Allez, dodo !

Jeudi 3 juillet, 10h00, Troia Marina, baie de Setubal, Lat. 38 29.6927 N, long. 08 54.2963 W. Setubal, c’est Chtoubàl, avec le « l » portugais à moitié avalé… sinon, ça ‘l’fait pô !

Flux faible 4-7nds du NNW, faiblissant 4nds en fin de matinée. WNW en debut d’après-midi, forcissant 10-14nds puis 15-18nds en soirée. Mer belle, visi >10Nm, baro 1020. Cap théorique après la sortie du chenal de Setubal – env. 190°. Route au moteur pour sortir du chenal, puis GV+GSE. GV-1ris +GSE 85 % ris en soirée

La sortie paisible du chenal de Setubal (ah, la belle bouée verte qu’on a failli passer du mauvais coté hier soir… « cuidado ! ») présage une journée de navigation paisible. Ce ne sera pas tout à fait le cas, mais grâce aux qualités nautiques de Roz Avel et à la maîtrise de son super équipage on fera une descente tout schuss jusqu’à la cité de Vasco de Gama.

Tout le long des falaises de la « Mar de Sines », les interminables plages continuent sans interruption. Heureusement qu’on a coupé tout droit, sinon il y aurait de quoi s’endormir. Juste qu’à un moment donné, les surventes à plus de 15 nœuds sont de plus en plus fortes. Roz Avel avance à 6,5nds, sous régulateur (qui a, somme toute, un peu de mal) et moi, j’avance la couleur. « Dès que je vois 20 sur l’anémo, on prend un ris. D’ac, armatrice ? » « Ça marche, capitaine. »

Tiens, un petit voilier devant nous… on va le gratter ? On va le gratter. On y mettra une heure… On aura le temps de l’analyser à loisir, de le prendre en photo sous toutes les coutures, de dos, du coté et ensuite de face… Pas si petit que ça, finalement. Tiens, il a un ris (au moins) dans la GV… et un peu moins de génois. Deux personnes à bord. Coucou… Des anglais, Red Ensign. Ils ont l’air sympa… Ca y est, on les a passés. Bon, on avance encore un peu et on le prend, ce ris ?

AlibiIII

Aglaé saute sur le rouf, monte en pied de mat et moi, je mets Roz Avel au bon plein. Notre amie la houle, bien gonflée cet après midi, nous secoue bien, à cette allure. « Tu t’accroches bien, dis. Et tu fais vite. » « Oui, oui. » A chaque fois j’ai l’impression d’être un maître d’école devant une classe de gamins turbulents et hyperactifs. Il y en a bien un qui dit au prof, d’un air absent « oui, oui » tout en continuant a faire ce qu’il veut. Bon, on se le prend, ce ris ?

Roz Avel avance à la même vitesse, mais le confort est tout autre. On est moins ballottés et le régulateur fait plus facilement son travail. Ce brave Heidi, un Hydrovane, est excellent à toutes les allures jusqu’au travers, a condition qu’on avance à plus de 4 nœuds sur le fond. Aux allures portantes, c’est une tout autre histoire. Je n’ai pas encore fini d’essayer des options, des réglages, des combinaisons de voilure, mais une chose est certaine – il est très sensible au réglage des voiles. Tiens, je mollis un peu le hale-bas… yess !!!

Cabo de Sines en vue. On commence une approche, un peu plus lente, a longer une immense digue qui abrite ce grand port pétrolier. Des tankers a n’en plus finir, et cerise sur le gâteau, quelque gros bateaux de pêche. Plein de gros machins en ferraille au mouillage ou en approche… Nick Ellis nous avait prévenu, c’est un port de commerce très actif, et il en est tout autant pour la pêche. Slalom entre les deux pétroliers par ci, attention au bateau pilote par là… tu l’as vu, le vert, qui déboule du sud ? Attention, tu te souviens, la digue est prolongée par un reste d’ouvrage cassé par les tempêtes, avec une bouée en bout… surtout pas couper le fromage de ce coté-là.

Le port de plaisance est caché dans une anfractuosité de la côte, un peu au SE des infrastructures du port pétrolier. Une jolie petite baie, derrière deux petites digues-abri, au nord-ouest – mouillage sur ancre et corps-morts (majoritairement réservé à la pêche locale) et au sud-est, les pontons de la marina. Des gars s’affairent sur des pontons, on cause à la VHF en anglais, on nous fait de grands signes, on exécute un parfait 180° le cul à 10m du ponton carburant et nous voilà amarrés. Parfait, mon cher équipage. Merci, capitaine. Ça mérite un tour chez Dom Vasco, tout ça…

Papiers, capitainerie, carte d’accès aux pontons, pas cher, Sines, plus que raisonnable au vu de la qualité des prestations, allons-y, faisons un tour en ville, acheter des vivres… Supermercado ? A trois Km. Ah bon… En rentrant au bateau, on croise un couple d’anglais. Tiens, les gars du bateau qu’on a doublé tout à l’heure… « Si vous avez envie passez au bateau, qu’on vous file les photos qu’on a pris de vous… c’était joli a voir, dans la lumière de l’après-midi. Vous aviez de l’allure. Nous, après, on a pris un ris. Ma limite, c’est 20 nœuds. » « Moi aussi, mais un peu plutôt. Ma limite à moi c’est 15… » C’est s/v Alibi, un voilier fabriqué en Afrique du Sud, mené tranquillement par un couple fort sympathique. « Vous allez ou ? » « On essaie, lentement, d’arriver en Med… mais on n’est pas pressés. » Ils ont hiverné, comme nous, en Galice, mais de leur coté, c’était dans le nord, à Viveiro. Problème de moteur, aussi, mais plus sournois… bactéries dans le gasoil. « Et Viveiro ? » « Ben… on a appris a l’aimer » me dit la dame… sounds so british, doesn’t it ?

On monte dans la « fortaleza » locale, on traverse la vieille ville et on se trouve dans une succession de maisons blanches, mélange ibérique d’architecture quelconque des années 50 et de petites maisonnettes de pêcheurs. On se fait insulter par un chien jonché sur le toit d’une maison, guidés par quelques vieux qui n’en savaient rien, on finit par trouver le Lidl local (OK, je vous dirai que Lidl, c’est pas Pingo Doce, que l’on y trouve les mêmes pâtes, boites de conserve et têtes d’ail provenance Argentine qu’en Bretagne Sud, mais on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a). Peu importe, demain, on file. On aurait bien aimé rester un peu…

Dom Vasco doit nous regarder de travers. Il est présent partout, dans cette bourgade dont son papa était le maire, il y tient rue, bistrot, tasca, magasin de souvenirs et gargote à sardinhas. Je me surprends a imaginer le grand voyageur portugais atterrir dans la baie de Sines et redécouvrir les lieux, quelques siècles après ses voyages… Il serait sûrement surpris.

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Demain, grosse étape, 62 milles, dans la partie de côte la plus exposée à la nortada. Aucune alternative d’amarrage avant la fin, et l’ogre du coin, Sao Vicente, nous attend avec la batte de baseball dans la poche de son calcif. On part de Sines au petit matin, aussi tôt qu’on pourra le faire, et on descend jusqu’à la Ponta de Sagres – il paraît qu’il y a un mouillage bien, juste derrière. Alternative (un demi-mille après) – le petit port de pêche de Baleeira, pas de marina, mais un bon mouillage (mais j’ai vu des cailloux sur la carte, un peu partout, j’aime mieux Sagres, c’est propre). Allez, dodo. A’d’main.

Vendredi, 04 juillet, Sines Marina, Lat. 37 57.0361 N, long. 8 52.1244 W.

Météo de ZyGrib, jeudi soir : lux faible du N env. 10Nds, forcissant 11-12 nds et tournant NNW vers midi. Rafales à 20nds en soirée vers le Cap.

Mollissant dans la nuit et tournant N. Mer peu agitée,, visi >10milles, faibles pluies possibles en matinée, soleil ensuite. Baro 1019.

L’équipage est vaillant, mes gars, le plus fainéant de la tripulacion est l’officier de sécurité. Faut dire qu’en ce moment, avec les amis qu’on se fait partout, il a peu de boulot. Bref, à 8h30 pétantes nous quittons à regret le port de Sines, pour faire cap vers le Cap. Le seul, le vrai le grand. Celui dont parle Alain, notre amis de Video Bleue, quand il dit dans un de ses SMS qui nous aident à positiver « courage, vous allez voir, une fois que vous tournez à gauche, tout change ». On me l’a bien dit, tu passes le Saint Vincent – plus rien n’est comme avant… oui, oui, je sais, c’est facile…

Comme d’hab, la météo constitue une vague indication sur le temps qu’il fera. Sur le coup de 10h40, deux bonnes heures après le départ, nous sommes toujours sous GV et moteur, Perkie ronronne de ses 2000 tours habituels, on avance à 7 nœuds sur le fond et l’ETA (vous vous souvenez de mon cours d’abréviations maritimes du précèdent billet?) est à 18h30. Ça, c’est bon, vous me direz… mouais, 18h30, le créneau favori de la nortada, là ou ils annoncent des rafales à 20 nœuds. ZyGrib = tu dois compter sur trois nœuds de moins dans le petit temps et jusqu’à dix de plus dans la baston. Donc on doit s’attendre à des claques à 30 nœuds aux alentours du vieux papy Vicente… ça promet !

J’ai des problèmes de conscience avec l’électricité. Comme tout marin de grand voyage, je rêve de mouillages forains à n’en plus finir (et gratis, qui plus est), de lagons à eau turquoise et tu comptes les poissons multicolores par milliers sur le fond, que tu peux voir parfaitement à 7-8m en dessous. Le souci est que les petits paradis terrestres n’ont pas de prises de quai standard européen. Les sources d’énergie à bord de Roz Avel sont, à part le réseau de 220V du quai des ports de plaisance, deux panneaux solaires de 100W (que j’ai accompagné par un régulateur MPPT censé rajouter 30 % de rendement à leur production habituelle), une éolienne (qu’on a fini de brancher il y a peu, à l’aide d’Adi, dans la perspective des mouillages de l’Algarve) et le bon vieux alternateur de Perkie. Mais voilà, pour que les batteries soient chargées à bloc par l’alternateur, il faudrait que celui-ci fournisse son énergie à une tension de 14,5 – 14,7V. Or, à 2000 ou 2500RPM, l’engin de Perkie envoie 14V à tout casser. Du coup, je suis les yeux rivés sur le moniteur de batterie (que je soupçonne d’être un pervers manipulateur, et ce depuis notre départ d’Arzal) qui m’indique, moteur en marche en régime de croisière, un « apport » négatif d’environ 1A… quand ce n’est plus… ou moins… bon, stop, j’my perds. Bref, j’ai des soucis électriques que je suis seul à bord a souffrir. Tout ça s’est quand même considérablement amélioré dépuis la pose du nouveau chargeur de quai (merci Javier, merci Costin). Bon, pour l’instant, tout ça me paraît pas mal, le répartiteur envoie du jus vers la batterie moteur en priorité, pour basculer sur le parc de servitude dès que celle-ci est chargée. Donc si maintenant j’ai du -1A, j’aurai bien du +5 d’ici une demi-heure… inch’allah !

Point nav à 13h12, quelque part devant Arrifana. Lat. 37 26.8600 N, long. 8 55.1440 W.

Nous avançons dans les mêmes conditions, motorsailing, comme disent nos amis anglais. Extrait du journal de bord :

GV+MOT, vent forcissant 8-10 kts, NNW, approchant 11 dans les risées. Petite houle constante NW. Croisé l’OCEANIS 40 qui est parti avant nous de Sines. Croisé deux dauphins. Déjeuner dans le cockpit à trois, salade de riz. Dès que le vent établi dépasse 10 a12 de manière stable on va dérouler le génois. ETA 17h30. VIT FOND env 7,5kts. CAP 190-192. TEMPS ENSOLEILLE.

Les gars de l’Oceanis 40, je ne comprends pas ce qu’ils fabriquent. Eux, ils portent les deux voiles, sûrement le moteur aussi (en passant j’ai cru voir l’eau de refroidissement sortir) et pourtant on est en train de les doubler en vitesse… Ah, voilà, tout s’explique. Les gars sont dans le cockpit, table dressée, bouteilles de bière à la main, en train de se prendre en photo l’un après l’autre, avec la côte portugaise derrière, sur leur bâbord. Faut dire qu’elle est belle, par ici (le « mouillage » – beaucoup dire – d’Arrifana est qualifié par l’Imray de dramatic – cela dit s’y attarder quand le vent forcit peut devenir dramatique). Une succession de falaises et de vallons taillés dans la pierre, on est loin de la looooongue plage de Setubal à Sines. C’est l’avant-goût de l’Algarve, après l’arrière-goût de la Galice qu’on a ressenti pendant toute la route de Baiona à Porto.

Sur le coup de 15h, le vent forcit à 12-14noeuds, plus de 15 par moments. C’est vraiment de la belle nav. Roz Avel glisse sur la houle, quasi sur la fausse panne, on joue avec la limite de l’empannage. Nous coupons le moteur, gréons une retenue de bôme et déroulons le génois. Bon, c’est pas tout ça, mais faudra faire gaffe, le Cabo Sao Vicente n’est plus très loin. D’ailleurs, ça ne tarde pas, on commence a voir le bout de cette longe falaise escarpée. Après, à 120 milles au sud, c’est le Maroc. Mais ça, ce sera plus tard. « Patronne, on serait avisés de prendre un ris, maintenant que c’est plus ou moins confortable, pour arrondir le Cap tranquillement » « OK Capitaine, on y va. » Je pousse la barre, en essayant de positionner le bateau au bon plein, ça vient, mais c’est un peu long… faut dire que dès qu’on quitte le portant, les 15 nœuds qui deviennent par moments 17-18 nous tombent en plein dans la figure. Eux, et la houle… ça change d’ambiance à bord. Bon, on est des marins, ou merde ? Allez, ce ris !

« Ca vient, ça vient. Je range la drisse et j’arrive. » Elle est formidable, mon « first mate » Aglaïa. Elle serait capable de dormir dans la cabine arrière ou sur le pont pendant toute une journée de nav, mais si j’ai besoin de « more hands on the deck » elle est là dans la minute. Enfin, des fois dans les deux minutes, du genre « attends, je m’habille d’abord… ».

Cabo Sao Vicente. Des rafales, pas plus de 25 nœuds, c’est beau comme de la bonne sardinha grelhada, dans le soleil couchant. On a sous-traité la photographie à Adi, pour la circonstance armé de notre Canon et du téléobjectif. C’est que du portant, on est passés au travers, et que les claques, filtrées par les hauteurs des falaises, sont assez violentes. Peu importe, c’est magnifique. Un voilier nous croise, dans le sens contraire… il ne sera pas à Sines avant la nuit, celui-là. Il doit vouloir naviguer de nuit, pour profiter du temps un peu moins venté qu’on a, par ici, entre 22h et 6-7h du matin. Pour ce qui concerne Roz Avel, voilà la Ponta de Sagres. On enroule la pointe, on enroule le génois aussi, on démarre le moteur, on affale tout ça et on s’approche… regarde, il y a un cata par là, deux ou trois voiliers de l’autre coté… bon, on se fout au milieu, un peu sur la gauche, pas tout à fait au droit de la partie creuse qui doit bien concentrer les surventes, on balance la pioche et 40m de ferraille et on n’en parle plus. « OK, patron ! »

Pas de chance, le moteur HB de Little Gu n’a pas envie de démarrer. Depuis les falaises, ça envoie du jus (marée descendante) et de l’air (rafales à 25-28, l’anémo a vu même du 30 à un moment donné). Bon, mon Gin, tu pisseras demain matin, désolé. Si on va à l’aviron, c’est pas à Ponta de Sagres qu’on arrive, mais à Mohammedia. Marrant, on dirait qu’il a compris…

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Samedi, 5 juillet, 10h. Enseada de Sagres, Lat. 37 00.1447 N, long. 8 56.4036 W.

Sagres – Portimao, environ 20Nm a faire, on a du travers dans les 12 à 15 nœuds, du soleil, du pur bonheur. Ca y est, on est en Algarve.

Il avait raison, Alain. On a tourné à gauche, tout change. Faudra voir ça avec François Hollande… je sais, je sais, c’est facile… et puis, Hollande, qui a dit qu’il était de gauche ?

Une journée le long des falaises, a croiser des voiliers sortis pour le week-end, des vedettes en pleine pêche, tout le monde a l’air de s’amuser, même nous, Adi est à la barre, nous on suit la route et Gin, il suit les vols des goélands autour des bateaux. Quelques limites à ce bonheur – devant Lagos on devine la grosse tache construite de cette ville, des hôtels, des barres d’immeubles modernes, ça ne donne absolument pas envie d’y aller. En s’approchant de Portimao, pareil – le long d’une très belle plage s’étirent des barres de béton, toute la rive droite du Rio Arade est bourrée de béton. Qu’importe, nous allons de l’autre coté, à Ferragudo. Magnifique mouillage, parfaitement abrité par les deux digues qui protègent la baie créée par le Rio, une belle falaise borde la magnifique plage vers le Nord et l’Est, au bout – un château posé pratiquement sur l’eau, derrière un charmant petit village de pêcheurs et un petit port d’échouage ou se dandinent quelques unes de ces barques peintes en couleurs vives dont les portugais ont le secret. Une certaine image du bonheur.

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On arme Little Gu pour l’aviron. Je vais au bled, accompagné par Adi (il part demain, le malheureux…) et par Gin, qui assure notre sécurité, comme de coutume. On va peut-être enfin les trouver, ces caracois !

« Deux regrets, j’ai, de cette croisière » me dit Adi. « Je n’ai pas eu le loisir de me baigner dans la mer, et je n’ai pas réussi a manger de ces petits escargots blancs… » Ben quoi, il a le droit ? Pour la baignade, c’est un peu tard, mais dans la petite taberna de la rue principale de Ferragudo, avec une chope de cerveja, je vois la jolie serveuse nous poser devant une gamelle de ces petits… on dirait des bigorneaux blancs. EXCELLENTS ! « On va en emporter quelques-uns à Aglaïa, t’en penses quoi ? » Gentil, ce garçon, avec ça… ce soir, un bon petit dîner d’adieu. En amuse-gueule, les petits escargots. Le lendemain, sur les conseils de la dame de l’épicerie du village, on file de bonne heure sur la plage et on appelle un taxi. « On est rue… blablabla… » Adi lui dit en anglais le nom inscrit sur le coin de la maison devant nous. « Connais pas… on ne peut pas se voir au centre du village, por favor ? » Ben oui, si on n’a pas le choix… En avançant, on voit un panneau, avec le nom de l’ensemble résidentiel touristique et luxueux qui borde le village. Adi reprend son portable. « Vila Castelo, tu connais ? » « Bien sur. J’arrive. » Et voilà, il s’en va. On a perdu (temporairement) un équipier, on a gagné un ami. Le soir, presque au bout de son voyage vers Parme, ou il travaille, il nous enverra un SMS très touchant… mais ça, ça nous appartient à nous trois. Le reste, on l’écrira peut-être ensemble dans une autre étape.

Au mouillage de Ferragudo on aura passé une dizaine de jours. Quelques moments amusants… en arrivant sur le plan d’eau, après un tour des bateaux, histoire de choisir la meilleure place (restante… il est chouette, ce coin, alors il est plein) je vois un cata jaune. « Tiens, franchement, tu ne penses pas que ça ressemble à Paquita? » « Bah non, n’importe quoi, ils étaient au Maroc, ensuite ils partaient aux Açores ! ». Le lendemain matin, en proie au doute, juste après le départ d’Adi, je fais un tour avec Little Gu… Mais « Bondieu mais c’est bien sur !!! » La silhouette unique d’un Flicka 34 fabriqué maison, peint en jaune, l’œil égyptien peint en bleu à l’étrave, ça ne pouvait être qu’eux, nos amis Françoise et Alain, notre couple suisse favori que nous avons connu l’année dernière à Sada, revu à Cangas, on s’est suivi sur nos blogs respectifs… tiens, v’là Alain ! Un saludo ! Qu’il est petit, le monde des marins à voile.

Un soir, un bateau blanc à bouchains, belle carène élancée, rentre, à la nuit tombante, parmi les bateaux du mouillage. Je suis dans Little Gu (j’y ai passé des heures, dans ce canot, a promener le chien, a faire des courses, a chercher des bidons d’eau…) Nathalie est restée à bord. « Heeeeey ! ROZAVEEEEEEEL !!!! » Les cris de Dominique transpercent le silence (tout relatif) de la soirée. C’est Shenandoah, le bateau de notre ami Henri et de sa compagne, Dominique, des amis connus à Escarabote, avec lesquels on a visité les Piscinas Naturales de Rio Pedras, Combarro, mouillé à Barra, grimpé sur le Monte Facho et se fait sortir d’une passe un peu difficile à Cangas… enfin, des amis quoi. Ils viennent rejoindre Rémi, un autre voyageur, dont le massif voilier en acier se dandine déjà au bout de sa chaine, un peu plus loin. Le lendemain, Nathalie a son escapade à Lisboa, pour chercher son passeport. Ben moi, j’irai avec les normands boire une mousse, tiens…

Le soir suivant, poulet grillé et autres amuse-gueules sur le bateau de Rémi. Une agréable philosophie de la vie en mer, un équipage fort sympathique, super soirée.

« Vous faites quoi, après ? »

« On a envie d’aller à Culatra, mais en fait, plutôt de l’autre coté de la lagune, vers Faro, au mouillage de Barra. »

« Ben nous aussi, on a envie d’aller à Culatra. Vous partez quand ? »

« Nous, on partirait bien demain, vers midi. On va faire un peu d’eau et de gasoil et on y va. »

« Bon, ben on ira à Culatra dans deux jours, si on vous voit, c’est super. Sinon, on grée le canot et on vient vous chercher de l’autre coté. »

« OK, ça marche. »

Lendemain calme à Ferragudo, deux voiliers normands filent vers la passe d’entrée de Portimao… Salut les gars, à demain !

Pour Roz Avel, pas de départ le lendemain. On y avait pourtant cru… J’ai pris la VHF, le matin. « Marina Portimao, marina Portimao, do you read me ? Over… »

Nous avions prévu d’y aller pour le « court séjour » de 4 heures, faire le plein d’eau, un peu de gasoil, brancher un peu nos batteries, pour partir tranquillement vers Culatra, une trentaine de miles. Seul souci – être à l’entrée de la Ria Formosa avant l’heure de la renverse, pour ne pas monter le courant dans le nez (des fois ça peut monter à 5-6 noeuds, pas évident a contrer). Alors on traine un peu, on calcule, on discute avec Alain. Alain, il me dit « tu vas à Culatra pour une nuit ? Tu vas être frustré… ». C’est con, tout ça, et il n’y est pour rien, mais finalement, on n’y ira plus du tout. Le moment de remonter la chaine, je dis à Aglaïa « un petit coup de marche-arrière s’il te plait. » et grschtschtsgrrrrr… un drôle de bruit s’échappe du local moteur. C’EST QUOI CE BORDEL ?!?

L’accouplement souple mis en place à Cangas s’est tout simplement dévissé. Une veine qu’il n’y ait pas de vent… « lâche la chaine, doucement. On reprend le mouillage. On verra après… »

« Marina Portimao, marina Portimao, do you read me ? Over… » (faut dire qu’ils sont à 500m de nous, la Marin T’as du fric ?a de Portimao). Discutions avec la dame qui tient le combiné de l’autre coté. Pas moyen de vous aider, on n’a « pas le droit de remorquer des bateaux » (à d’autres…), « non, désolé, je ne sais pas ce que vous pouvez faire » et autres « je n’y peux rien, je regrette… ». L’Algarve, coté marinas, quoi. T’as du fric ? Ça roule. Tu n’as pas beaucoup de fric ? Tu ne nous intéresses pas…

Deux jours d’échange de mails avec Costin, de recherches sur le net, de spéléo dans le logement de Perkie, et le tour est joué. En attendant, on aura pris nos habitudes, à Ferragudo. La mamie du Supermercado connait déjà el pintor qui lui a montré ses croquis de l’église, i tal i qual… Les vieux du café du bout de la rue principale, là ou il n’y a pas encore de boutiques à touristes, commencent a connaître le gars aux cheveux longs qui promène son chien le matin et vient juste boire un café. Et chaque soir, après nos balades diverses et variées, on boit notre verre de sangria avec les Paquita. Le monde se porte bien mieux, maintenant qu’on l’a refait, dix jours durant… Mais le temps passe. Un couple d’amis doit nous rejoindre quelque part en Andalousie, et le lieu qui me paraît convenir parfaitement est Càdiz. On quittera ce mouillage un fin de matinée, le cœur serré, le 19 juillet. Ça nous rappellera les joies de la navigation de nuit, la magie des lumières qui s’éteignent, le lever de soleil sur la mer. Ça nous permettra de revoir des amis, Sofia et Jaime, la fille de Javi et de Sofia et son époux, qui nous feront la visite guidée de la ville et l’amitié de partager notre repas. Ça nous fera rencontrer Néblon, un superbe bateau belge et son non moins superbe équipage. On y retrouvera les « Mounalain », nos amis de Video Bleue 2. On recevra à bord Adi et Roxi.

Mais on n’aura pas vu Culatra.

El Capitàn 😉

Considérations hâtives. Même côte, même houle. Roz Avel au pays du « bacalhau » – un peu plus bas, à gauche.

Deuxième partie – Porto – Lisbonne. La « nortada », quand elle tourne au sud…

Porto est une ville magnifique. Magnifique de culture, de patrimoine, d’histoire. Magnifique dans sa décrépitude, dans ses maisons collées les unes contre les autres le long du Douro et qui auraient bien besoin d’un coup de peinture. Magnifique dans le jeu de ses enfants dans les ruelles étroites, au milieu de touristes armés d’appareils photo… vous avez déjà expérimenté la sensation que vous n’existez pas ? Ces enfants s’en foutent, de nous. Eux, ils sont d’ici. Nous, demain, nous partons.

Le lendemain, nous voilà partis. Et Porto, je suis resté sur ma faim. J’ai en tête les ruelles d’Affurada, au petit matin, lorsque Gin et moi faisons notre balade matinale. Le lavoir municipal, avec les femmes du pays qui viennent étendre leur linge sur ces drôles de perches qui tendent des cordes dans tous les sens, avec une géométrie savante dictée par la longueur des cordes et les vents tournants des bouches de l’estuaire. Les cafés d’Affurada qui ouvrent leurs volets dans un crissement paresseux. Les gars, prenant leur café, se tapant dans le dos. Une vieille dame qui crie de joie, voyant son petit fils courir à sa rencontre – « Peeeeeeedro !!! ». Le « passeur » du vieux bac, qui pour un euro te dépose de l’autre coté du Douro, dans son bateau aux vernis approximatifs. J’aurais aimé rester un mois, à Porto. Pas une vie, je ne crois pas. Quoique…

mardi, 17 juin, 11h30, Marina Douro, Vila Nova de Gaia Lat 41 08.6470 N, long 8 38.8710 W

Vent – 23Bf du secteur E faiblissant à midi, tournant Nord 11-14nds. Mer – peu agitée. Visibilité +10Nm, cap – 190°, jusqu’à l’entrée de la Ria de Aveiro, à vue ensuite. Baro 1014. Vitesse fond env. 5kts, GV+Génois, régulateur

Poussés à peine par le petit thermique du matin sur le point de s’étioler, nous envoyons la GV dans le chenal de sortie. « C’est comme ça en ce moment, le matin ça souffle du SE. Plus ou moins fort. Tu règles ça en t’éloignant plus ou moins de la côte. C’est du pur thermique. Tu attends 14h, t’auras du nord, fort. De toute façon, sur mon bateau, si je n’ai pas 15 nœuds, j’envoie même pas les voiles » me dit le monsieur à la Marina. Son bateau, c’est un monstre, au moins 20 tonnes lège, plus de 15m d’acier. Lui aussi il vient d’Arzal, mais il traîne par ici depuis un moment. Pas nous, il faut qu’on arrive dans l’entrée de la Ria de Aveiro au plus tard vers 18h.

Un peu après la sortie du Douro le nord s’établit, un peu plus de 10 nœuds, soleil portugais et petite houle du NW. On finira par la connaître par cœur, celle-là. Tranquille, pour l’heure, elle peut devenir franchement mauvaise. Et si ça tourne au sud, tenant compte du nœud de courant Nord-Sud qu’on a tout le temps par ici, ça finit par lever des vagues assez scabreuses. Aujourd’hui, c’est parfait, une vraie belle journée de nav.

16h00, au large de San Jacinto, Lat. 40 48.8110 N, long. 8 44.7360 W. 13-14nds du NW, cap 195°, vit. GPS 5nds

Petit point de passage, juste pour me confirmer l’estime. On avance bien, le long d’une côte de plages, plages, plages. Plutôt vides. On arrive à l’entrée de la Ria de Aveiro, vieux port fleurissant sur la base du commerce avec les colonies envasé au XIXème siècle. Après cette temporaire catastrophe économique, Aveiro connaît une nouvelle vie – visiblement une activité très forte en tant que port de pêche et de commerce. Pas glamour, les berges de la Ria, coté sud. Plus glamour coté nord, vers San Jacinto, on ira y jeter l’ancre une autre fois. Une chose est claire, faudra y revenir, ce pays mérite d’etre mieux connu.

17h45, passe d’entrée de la Ria de Aveiro. Lat. 40 38.4495 N, long. 008 46.0318 W. Fin de marée montante.

Fort effet de raz, bouillonnement impressionnant entre les digues, beaucoup de petites barques de pêche artisanales. Tel que je la vois, la passe est probablement impraticable par fort vent du sud, et au jusant. Courant de minimum 4 nœuds, favorable.

Mais ou donc est le port ? Nous explorons la Ria en suivant scrupuleusement le balisage latéral du chenal. Probablement pas toujours indispensable, au vu des grosses unités de pêche amarrées le long des quais. Toujours ce courant impressionnant… on file à 7,5-8 nds moteur au ralenti. Ambiance vieille marine rouillée, quelques bateaux impressionnants croupissent le long des installations portuaires, totalement incompatibles avec un voilier de plaisance. Une goelette à 3 mats se meurt au soleil, sa coque en acier suinte des ruisseaux rouges à travers des restes de peinture blanche. Plus tard, dans un bassin du port, un vieux Vapeur, dont le nom est accompagné par un port d’attache bien insulaire – Funchal. Il a du faire de la route en Atlantique, celui-là. En attendant, on cherche toujours l’emplacement du ponton d’AVELA, Association Aveirense de Vela. Un petit chantier, avec un slipway boueux et une petite grue, paraît équipé de ce qui ressemble à un ponton. On fait demi-tour dans le courant. Dur dur. On prend le ponton, pendant qu’un monsieur, chemise blanche et pantalon de ville, se précipite pour nous parler (en français, ça aide). « Vous ne pouvez pas rester ici ». Au vu des 3m qu’annonce le sondeur, ça paraît évident. « Il faut aller au fond, là-bas ». On remarque enfin la file de bateaux amarrés le long d’un ponton, quelques centaines de mètres plus loin. Moito obrigado.

Le temps d’avancer, j’entends siffler depuis la berge Sud. Zut, le monsieur de tout à l’heure. Il me fait signe. Que diable veut-il me dire, il montre vers le haut… AH, MERDE ! Une ligne électrique. On regarde d’un air inquiet. On serre vers la berge Nord. Avec le « ventre » que fait le câble vers le milieu, on gagne au moins un ou deux mètres si on passe sur le coté. Le monsieur lève le pouce en l’air. C’est bon, ça passe. Vu du pont, ça fait flipper. On arrive à AVELA, on nous fait signe, on rentre entre deux voiliers, presque au chausse-pieds, on ficelle tout ça et c’est bon. On peut s’offrir une « copa de vinho verde ».

AVELA est un long ponton flottant, plutôt bien entretenu, qui appartient à l’Association de Croisière Aveirense. On est reçus amicalement dans leurs locaux. Je parle de départ matinal. « Vers quelle heure vous voulez partir ? » Neuf heures, je dis timidement… »Je viendrai à 8h30, si ça va pour vous. Après, je travaille. » Tous les gens qui animent cette formidable association sont des bénévoles, ce qui donne au club cette ambiance extraordinaire que nous avions connue à Cangas.

On fait un tour dans cette petite Venise portugaise, aux canaux animés par des longs bateaux à étrave pointue et élancée, décorés de couleurs vives et dessins coquins. Le temps est gris, humide, la ville vit au rythme de la coupe du monde de foot. Ils soutiennent a fond l’équipe du Bresil, vu que la leur est d’ors et déjà éliminée. Nous, une petite bière sur une terrasse, à coté d’un magasin de musique. Fado, bien sur. Ça nous plaît, Aveiro, on décide d’y rester un jour de plus. Le matin, avec le monsieur qui vient pour le règlement, on discute un peu des grandes et petites misères de la vie d’une association. Une vie de passionnés de voile, régatiers mais aussi amateurs de croisière. « Lisboa, pour la fin de la semaine ? Le vent est du nord, le courant aussi… ça devrait être facile. » La suite lui donnera tort, mais la météo n’est pas une science exacte ; loin s’en faut.

Aveiro, c’est des canaux, du fado, et des ovos mollos. Ces espèces de gâteaux à l’intérieur de la consistance d’un œuf mollet, sucrés juste ce qu’il faut, qu’on trouve dans toutes les « Pastelleria » de la ville. C’est du sel sorti des marais salants environnants, ces exploitations qui vivent au rythme des marées et qui façonnent le paysage, un peu comme à Guerande, ou – on l’apprendra plus tard – dans les environs de Càdiz.

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Demain, on file de bonne heure. Savant calcul, me donnant l’heure de départ un tout petit peu avant la haute mer, pour gagner 50cm sous les fils électriques, mais pour ne pas avoir trop de courant dans le pif. Neuf heures, ça va le faire, c’est bon pour vous, les filles ?

jeudi, 19 juin, 9h00, AVELA, Aveiro Lat 40 38.7573 N, long 8 39.8010 W

Vent faible1à3 nds du secteur S-SW, tournant Nord 10 nds en milieu d’après midi. Mer – belle. Temps couvert avec eclaircies. Visibilité +10Nm, cap – 195° jusqu’au Cabo Mondego. Baro 1012. GV+Génois, nav dans le petit temps à 5 nœuds de moyenne

Une journée sans histoires pour arriver dans un port sans charme. La sortie de la ria de Aveiro – comme une lettre à la poste (avec les conseils rassurants des gars de l’AVELA, on a encore une fois serré la rive droite – « ne vous inquiétez pas, il y a au moins 2m50 presque jusqu’au bout »). On arrive à FigFoz… réception limite désagréable au ponton d’accueil. le monsieur nous dit que le lendemain il ouvre à 9h. Nous voudrions partir plus tôt… l’idée serait d’arriver à Peniche dans la journée… rien a faire.

Résultat – on passe une soirée nulle, a chercher désespérément un bar avec une connexion WiFi (pour finalement trouver ce qui est probablement le seul endroit sympa, un « pub cubain » – improbable établissement ou les jeunes serveurs parlent un anglais parfait et le demi de bière est à 1€). Une ville quelconque, hôtels des années 60-70 remplissant le front de mer, mais une superbe plage a moitié vide dans cette soirée de mi-juin. Pas encore de vacances, par ici ?

Seule conclusion intéressante de la journée – en naviguant sur la sonde des 20m il y a moins de casiers que sur celle des 50m… si ça se trouve, il y a un lien entre le type de poissons recherchés et la fréquence des engins. Ou c’est qu’il y a moins de ports de pêche. Ou qu’on a eu du bol. Gin, lui, a trouvé son amour au Portugal. La belle est, malheureusement, enfermée derrière des barreaux… tu parles de la liberté et de l’amour, il n’y a qu’a rejouer un air de fado, senhor !

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Vendredi, 20 juin, 9h00, Figueira da Foz Lat 40 08.8017 N, long 8 51.5077 W

Vent – 7-8 nds forcissant 15-18nds. Le vent tourne progressivement vers le sud, en soirée on attend 15nds avec rafales à 20-22 dans le secteur de Peniche et les Berlengas. Baro à 1015. Visi TB, mer – la même houle régulière du NW.

Départ matinal, avec dans l’idée de pousser jusqu’à Peniche. Avec les prévisions du soir, rafales et vent tournant au sud, on décide de s’arrêter à Nazaré. Pour l’heure, un petit flux SE nous pousse hors de FigFoz, avec des perspectives de navigation magnifique, sous le soleil et avec un bon petit vent. On verra plus tard ou on s’arrête, mais le démarrage est plutôt cool.

Point nav à 11h48 – Lat 40 02.9800 N, long 8 56.0040 W. Cap GPS à 190°

Tenant compte du vent c’est un peu juste pour le suivre jusqu’à Nazaré. Un virement pour nous éloigner un peu de la côte un autre pour revenir sur notre cap (et pour voir notre ETA baisser considérablement… ce GPS a une drôle façon d’interpréter les VMG). Ces initiales sont une part intégrante du jargon des voileux, qu’ils soient régatiers (surtout) ou navigateurs en croisière (aussi). Le Global Positionning System, ce dispositif satellitaire formidable qui permet à tout marin moderne de se passer de l’art obscur du maniement du sextant, nous donne en temps réel la vitesse-fond (la vitesse en « coordonnées absolues », c’est à dire intégrant aussi toutes les composantes dues à la dérive du vent, à celle du courant et aux variations subtiles infligées par la houle – ce que la petite roue a aubes du speedo ne sait pas faire. En calculant – selon le logiciel propre à chaque marque et génération de GPS – la distance restant a parcourir, tenant compte de la vitesse instantanée et des variations de cap, la machine nous donne une Estimated Time of Arrival – heure estimée de l’arrivée. Pour ce faire, selon la position de l’objectif, l’appareil utilise la notion de Velocity Made Good – la vitesse optimale pour atteindre son objectif. Notion intéressante dans la voile, cette VMG nous permet de comprendre comment des fois, malgré qu’on ne fasse pas le cap le plus précis en direction de notre destination finale (et ce, même si en serrant le plus possible le vent on pourrait le faire, au prix d’une sensible baisse de vitesse) en s’écartant d’une dizaine de degrés du cap mais en gagnant un ou deux nœuds de vitesse (dans l’hypothèse ou l’équipage ferait des virements d’enfer à la vitesse d’un équipage de Class America et ne perdrait ni cap ni vitesse dans la manœuvre) on finit par arriver plus vite, quitte a parcourir plus de route. Tout ça fait partie du folklore local et on se fait un malin plaisir d’utiliser un vocabulaire coloré et incompréhensible, pour empêcher tout sinistre terrien de piger la grande simplicité de la navigation à la voile (il y a déjà trop de jet-skis sur les océans du monde, non mais ! )

Une fois la décision prise de s’arrêter sur Nazaré, je file relire un peu ce qu’on dit de ce port réputé « tout temps », mais dont les falaises détiennent le record du monde de la plus haute vague jamais surfée – plus de 30 mètres. Il paraît que c’est courant, dans les parages. Comment ça marche ? La réponse s’appelle Canhao de Nazaré. Les fonds marins à proximité de la baie de Nazaré remontent en vitesse de 1000m à 150m à quelque 30 milles du rivage, créant une sorte de plateau qui englobe, un peu plus à SW, les Islas Berlengas. En arrivant à quelques centaines de mètres de la plage abritée par les falaises hautes au Nord du village, le plateau remonte brutalement. Depuis les îles vers l’entrée du port, une faille dans ce plateau fait venir ces profondeurs d’environ 1000m presque devant la passe d’entrée (là ou à gauche et a droite les sondes indiquent 150m, au milieu elles donnent 1000 – en arrivant à des profondeurs de 35m le canhao sonde à 650) Tout ça crée un régime des vagues assez particulier. Pour avoir été en situation de le traverser deux fois dans un sens et deux dans l’autre, je peux confirmer que c’est un mélange de spectaculaire et de flippant.

En arrivant dans la baie, le nombre de casiers augmente d’un coup. Ces gars-là n’ont rien de sacré, ils en ont mis une douzaine pratiquement devant la passe. Et cette houle de trois quarts arrière, qui me fait dandiner comme la vieille bagnole du général De Gaulle… bon, surtout que les filles ne se rendent pas compte que je stresse un peu. Aglaïa, a affaler la GV !

Dans la houle, c’est un peu sportif. Peu importe, la dame a l’habitude. On se souvent de l’entrée au port de Lesconil, à bord de Gu Bragh, avec les gosses de Grand Largue. Dans la houle, devant la passe, un peu comme ici – une main sur la drisse, une main sur les haubans. Maxime, agrippé à la capote de rouf, qui filmait l’affalage de la Grand Voile. Scabreux !

Devant l’entrée, on contourne les derniers flotteurs ornés des petits pavillons rouges. Les vagues paraissent un peu moins hautes… « Regarde ce pêcheur, il passe à fond, sur une trajectoire un peu plus « en biais »… il a l’air de savoir ce qu’il fait. Je vais le suivre. ». En visant bien, 20 mètres avant la passe, un coup de gaz. Moteur à 3000 tours, je traverse les dernieres vagues. Ça y est. Une fois dedans, comme par magie, plus rien. On file vers le fond du port. C’est drôle, à chaque fois je dois râler un peu pour qu’on se magne les fesses avec ces putains de pare-battages… « C’est prêt ? » « C’est bon, tu fais chier, j’ai que deux bras…. ». Cristina s’y met aussi. On arrive au fond du bassin de pêche, a passer le long du « yacht-club de Nazaré ». Un ou deux pontons, quelques belles unités, mais le port – plutôt vide. Des grosses claques nous poussent hors du ponton. Un type, visiblement anglais, vient nous prendre les bouts. Arc-boutés sur les amarres, Nathalie et lui arrivent a tenir le bateau. « Passe-moi la « cravate » s’il te plaît. » Je mets l’amarre fétiche de mon armatrice au winch. Un petit tour de manivelle après l’autre, le bateau colle au ponton. L’armatrice a du descendre par l’étrave, ou je ne sais pas comment elle a fait… « ça fait haut ». Peu importe, on est à poste. Comme à chaque fois.

Petit tour au village. Un « supermercado », pour quelques bricoles, un peu de pain. Un drôle de bled. Une vieille dame, costume traditionnel, avec une superposition de jupons brodés et un haut noir brillant, s’escrime sur les engins de musculation du paseo maritimo. Des femmes avec des fichus sur la tête, sur des tabourets, vantent les qualités de leurs appartements proposés à la location. C’est les vacances, ça commence à peine, les gens ont besoin de remplir leur caisse…

« Demain on part de bonne heure. Cristina, on essaie d’arriver à Lisbonne. D’une traite. »

« Ca fait combien d’heures de nav ? »

« Pour dans les 75 miles ? Environ 12h. Si on a du vent, ça ira. Le souci, c’est que ce sera du près. Tu ne connais pas encore ça, dis… »

« Moi, si j’arrive demain, même tard, ça me va. Si c’est un peu sportif, c’est pas grave… euh… t’appelles quoi, sportif ? »

« On annonce du vent, 15-16 nds. Avec le coefficient de sécurité habituel pour ZyGrib, je dirais 20. Dans les rafales. Le souci, c’est que ce sera du Sud… C’est a dire, trois quarts du chemin, on l’aura dans le pif. »

Samedi, 21 juin, 7h30. Nazaré. Vent du S-SW, prévu à 14-15 nœuds, rafales à 18-20. Visi >10Nm. Soleil. Baro 1012.

Sortie en fanfare du port de Nazaré, le ponton plutôt abrité des risées du matin. Une fois dehors ça commence a forcir tout doucement. Les risées deviennent rafales, ça touche gentiment les 15-18 nœuds. On joue avec le compromis cap-vitesse, ou cap-VMG… en mettant un peu de nord dans le cap, on avance plus vite, mais l’objectif (si possible – passer les Berlengas sur un bord) paraît un peu moins évident a atteindre. La mer forcit un peu, aussi – la houle habituelle du NW tourne W et devient bien plus chaotique. Malgré tout, on arrive a revenir régulièrement sur le cap de 220°, qui nous fait descendre vers les Berlengas. Une fois là-bas, on verra bien.

Les vagues deviennent un peu plus escarpées. Et soudain, alors qu’on était dans un de ces moments un peu plus calmes ou on arrivait a serrer le vent, un train un peu plus raide… attention ! Un train peut en cacher un autre ! Une déferlante qui claque devant l’étrave, le bateau se cabre, tombe dans le creux, le mât pompe et crack… le pataras casse. Mais cette histoire, vous la connaissez déjà…

« Cristina, je suis désolé, mais on rentre à Nazaré. Il est midi, on roule le génois et on met le moteur. Il est hors de question d’aller jusqu’à Lisbonne avec le mât comme ça. »

« Ne t’en fais pas, je comprends. C’est normal. L’important, c’est vous, le bateau… Ça va aller ? »

« Pour arriver à Nazaré, pas de problème. Pour le reste, on verra… »

On arrive au ponton, scabreux, comme la fois d’avant. La rentrée entre les digues, elle, bien moins difficile (malgré la mer plus forte… je crois que j’avais retenu la leçon du pêcheur de l’autre jour, et je crois aussi que c’est toujours plus dur la première fois…). Cristina prend son bus pour Lisbonne dans l’après midi. Le soir, elle dormira sur du dur, dans un vrai lit. Nous, on commencera a chercher une solution.

Nazaré, une semaine au port. Finalement, pas si mal que ça.

On apprend a connaître cette ville, finalement plus qu’attachante. J’achète deux petites dorades au marché. Je papote avec la vieille dame qui me les vend, moi un peu en espagnol, un peu en français et un peu en anglais. Elle complètement en portugais. Le papy, après les avoir vidées, me les passe. « Moito obrigado ». « Ah, il parle portugais ? » Sa dame lui explique qu’on a passé un an en Galice. Qu’il peut nous causer portugais, qu’on peut lui répondre en espagnol, et que les quelques mots de gallego qu’on a appris font qu’il y a de fortes chances qu’on se comprenne… « Aaaahhh… ». Le papy a l’air impressionné.

On fait un saut sur le terre-plein du port, pour voir le bateau de Philippe. Philippe et son épouse préparent ici un bateau en acier de 56 pieds, pour partir en Antarctique. Comment ça se fait ? « Pourquoi aller en Antarctique » leur demande Aglaïa, incrédule… « Parce qu’on y a déjà été une fois, et on n’a pas pu rester longtemps. Du coup, on a décidé de changer de bateau, de prendre une unité plus adaptée que notre Santorin et d’y retourner. » Le monde est petit – Philippe a eu l’occasion, au Brésil, de faire connaissance avec un couple dont on suit les aventures depuis deux ans – Caroline et Hughes, navigateurs-journalistes à bord de Loïck. Le monde des voyageurs à la voile est finalement assez petit…

L’équipage d’Oumiak partage le repas de l’équipage de Roz Avel, dans le carré. A cette occasion, on connaît un personnage incontournable – Alec. Marin, chaudronnier, ancien deuxième ligne et accessoirement, polyglotte. « Alors, les bretons, ça va ? » (allusion claire à notre Gwen-ha-du qui flotte dans les haubans, à babord, et aux lettres LO, sous Roz Avel – notre bateau est immatriculé à Lorient… Ce qu’on saura plus tard, c’est que Alec a passé des années en Bretagne-Nord, que c’était un habitué du Festival des Chants de marin de Paimpol) « Je suis passé ce matin sur le ponton, pour voir la catastrophe. Il est chouette, votre bateau. »

« Bon, c’est pas une grosse catastrophe. Ça aurait pu… »

« Oui, ça aurait pu. Et pourquoi vous n’avez pas fait un nœud, comme des bretons qui se respectent ? »

Au fait, Alec, c’est un peu ce qu’on a fait. Au dessus de l’isolateur, un nœud de bosse, sur le câble, calé conter la pièce en inox pas encore cassée. En dessous, dans le ridoir, un tour mort et deux demi-clés. Et ça, avec les trois ou quatre bouts que j’ai trouvé dans les équipets de cockpit, rapidement… Ça, les bastaques, le mât traversant et généreusement dimensionné… ça a tenu bon.

Le lendemain, veille de départ. Notre pataras de bateau de pêche, mis en haut du mât par Nathalie, est raidi correctement. Ça a l’air d’aller. On fera quand même comme disait Philippe. « Pas plus de 60° du vent réel. Et pas plus de 25 nœuds de vent réel. » OK, Philippe, on va essayer… Alec et Dodi viennent boire un coup à bord. Les personnages sont aussi attachants que pittoresques. « On a une machine a laver dans le magasin, là ou on tient nos affaires… Avant, la dame du bureau du port le disait aux plaisanciers de passage – « Pour faire une lessive, vous voyez avec Dodi et Alec » Nous, après chaque lessive, on étaient contents. Chouette, des sous… on va boire un coup ? »

« Il est tard, dit Alec. Je vais au bateau faire un petit quelque chose a manger. Tu rentres quand tu veux » dit-il à Dodi. La fille s’amuse… « Vous auriez bien un duvet à lui passer » nous dit-il, en rigolant. Ben oui, mon gars, tinkiett, on a de la place à bord. « Les gars, je peux faire vite-fait quelque chose, il y a toujours des trucs dans les caisses, sous les couchettes » je leur dis.

« T’en fais pas. Ça risque d’être compliqué. Nous sommes… végétaliens. »

A voir cette force de la nature, ça surprend… mais justement, c’est ce genre de surprises qui rend les rencontres intéressantes. Eux, on va les revoir, c’est sur. Le genre de rencontres qu’on aime faire. Le genre de rencontres pour lesquelles on est partis à bor de Roz Avel.

« Mon bateau, il sera prêt dans deux mois, maxi. Bon, je dois finir celui de Philipp avant… mais là, il n’y a plus pour longtemps. Après, on va naviguer un peu. » Alec, il a mis les yeux sur un bout de terrain, sur le port. Il travaille sur les bateaux, un peu comme il peut, mais là, il a envie de se poser, de monter son chantier. Ici, au Porto Abrigo de Nazaré. Dodi, elle a son bateau a elle, une superbe unité en bois, bordé classique, qu’elle remet en état après pas mal de temps passé en Mediterrannée. Bonne chance, les amis, à l’année prochaine !

 

Vendredi, 27 juin, 12h30. Vent – 8-9nds du NW. Mer belle, visi >10Nm, baro 1012. Vitesse GPS environ 5nds. Cap de départ – 228°.

Celui-ci, il va nous faire passer gentiment entre les Berlengas et la pointe devant Peniche, Le Cabo Carvoeiro, comment tu disais, Jean-jean ? Comme une mite dans une chaussette. On va s’arrêter à Peniche, tranquillement, 28 miles d’ici. On envoie la GV dehors, après les inévitables 2570 casiers à pavillon rouge. Scabreux, dans la houle. Penser a envoyer dans le port, la prochaine fois. Penser a travailler l’envoi de GV, pour que ça aille plus vite. Penser a mieux naviguer ! L’armatrice, elle doit se dire « capitaine, pense a ne pas faire chier le monde… »

Quelques points de nav plus tard, l’affaire est dans le sac, on avance à 5,5-6nds et on commence a bien voir les Berlengas. Un bon nœud de courant dans le dos nous aide, malgré le vent un peu maigrichon. Et d’un seul coup, d’un seul, les mots de Nick Ellis se font verité. Une fois la ligné entre le Cabo Carvoeiro passé, les 5,5-6 nds deviennent 3. Le nœud de courant favorable se transforme en 0,5-1nds de courant contraire. Et nous on n’avance plus…

Au droit de la pointe, un drôle d’animal flottant. Un engin jaune, avec une voile à corne, un petit foc (qu’on estime plus qu’on ne voit) et un mât… j’comprends rien, on dirait un bipode.. En plus, il avance. Courant contraire, vent contraire, malgré tout ce canari jaune est déjà devant la digue.

Nous aussi. Nous avançons. Entre les casiers soudainement réapparus et les quelques bateaux de pêche (Peniche, c’est un port de pêche très actif, pour ce qui est la plaisance on verra dans deux heures que c’est plutôt anecdotique).

Une fois entrés dans le port, à l’abri, voiles affalées, vas trouver une place. Les voiliers de passage, par ici, sont consignés le long du brise-lames du port de plaisance. C’est vrai qu’il est long. C’est vrai qu’il est plein, aussi… On vise un genre d’Endurance, bateau de voyage bien ventru, visiblement à quai depuis un moment et à peu près aussi long que nous. On s’y approche. J’essaie d’expliquer à Nathalie quoi faire… Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois qu’on arrive à coté d’un bateau dont on est censés se mettre à couple, mon second bien aimé pique une crise de panique. Il n’a pas de taquets, il n’a pas de chaumards, il n’a pas ceci, il n’a pas cela, comment que j’vais faire… « Monte à bord nondediou… Fais comme d’habitude, trouve le premier truc solide que tu vois, un pied de balcon ou je n’sais quoi, fais un tour mort…. DU CALME !!! Regarde derrière. »

Derrière, deux gars s’animent rapidement. L’un prend une amarre avant, histoire de sécuriser le bateau, en faisant une garde avec. L’autre récupère celle de l’arrière, dans le même but. Les petites risées assez sèches du port nous bousculent un peu, mais avec l’aide inespérée, l’affaire est vite dans le sac. C’est qui ces gars ? Le premier, tout rassurant et baragouinant un peu le français, c’est le gars de permanence de la vedette des flics. Un flic quoi. Le deuxième, il m’explique qu’il serait bon que j’envoie un peu de gaz… un peu plus… « more »… encore… « mehr »… et au bout du quatrième mot je pige – c’est l’allemand du superbe voilier rouge sur lequel un couple etait en train de prendre l’apéro, lorsqu’on arrivait. Ben quoi, ils sont sympa, les voileux allemands… Et c’est pas la première fois qu’on le constate (vous vous souvenez, Dodi…)

Bien ficelés, à couple, papiers remplis (le flic : « Moi je remplis tout ça mais demain vous verrez avec l’administration du port… » « demain, on aimerait partir tôt… ils ouvrent à quelle heure ? » « 9h, si ce n’est 10… » « ben on aurait aimé partir à 7h30… » Ben partez ! Peniche, c’est une ville sympa ! »

Promenade du chien. La « Fortaleza », superbe. Le vieux quartier, superbe. La petite « Padaria », toute mignone, personne dans la ruelle, si ce n’est deux filles « de petite vertu »… « Tu voeux qu’on garde le chien ? »… Même les putes sont adorables par ici, on n’est plus à FigFoz… « Non, merci les filles, je repérais, pour demain matin… » « Boa noite, mon ami… »

un gars tombé du lit passe, à 6h30 écrire le nom des bateaux sur un calepin, c’est quoi ce bordel ? Le flic disait qu’on n’avait qu’a partir… J’ai pas envie qu’on se fasse attendre par les GNR à l’arrivée au ponton. « Tu n’auras personne, oublie, on n’a qu’à partir ! » Les armateurs, tous pareils. Tant qu’ils peuvent gruger… Aglaïa me traite gentiment de parano, et un peu moins gentiment de con. Bon, ça, c’est fait… on note ! J’arrive vers la boutique du port, petite guitoune entre les guichets des bateaux pour les Berlengas. Le gars est dedans. « On peut payer par carte ? » « Non, sorry… effectivo ! » « Elle est ou, la banque la plus proche ? » « Bouge pas, je ferme ici et je t’emmène ! » Ben ça alors…. Un coup de bagnole par ci, un coup par la, on arrive a régler l’affaire et c’est parti. Peniche – Lisbonne, petite étape de 50 miles, dans le petit temps. Juste qu’il y a les Cabo da Roca, Cabo Raso, les hauteurs de Cascais.. paraît qu’il faut faire gaffe !

Peniche, samedi 28 juin, 7h30. Vent – 6-7nds, forcissant tranquillement à 10nds. Mer B à PA, la même houle qu’on connait, en plus faible après le cap Carvoeiro. Baro 1012. Visi >10Nm, ciel bleu, le temps magnifique et le moral des troupes en acier trempé. Prevu par ZyGrib – 7-10nds, WSW, tournant W et forcissant 9-12nds, en soirée N forcissant 15-18nds.

ZyGrib, j’te connais maintenant, le bas de la fourchette est optimiste (t’enleves 2-3nds) et le haut est tricheur (t’y rajoutes 5-10nds). SMS d’Alain. « Surtout dégagez bien le Cabo da Roca et Cabo Raso mauvaise reputation on a pris 35nds ». On est vigilants. Enfin, gentiment vigilants. Il fait trop beau, ça souffle trop du large pour que l’effet Venturi soit flagrant… ensuite, le Cabo Raso porte bien son nom. Il n’y a RIN de RIN !!! Un truc à ras de l’eau, battu par les vents, c’est bien là-bas qu’Alain et son Video Bleue auront eu les plus fortes rafales. Ben nous, tranquille, 15 nœuds, parfait.

On file vers l’entrée du Tage, le long de Cascais. Je trouve ça beau. Aglaïa trouve ça « rien du tout… pour ce que j’y vois… » Gentille brume de chaleur, la côte du nord de l’estuaire est un peu « floue » mais malgré tout, c’est juste magnifique. « La-bas, Cascais. Ensuite, tu vois, Estoril. Et derrière le petit fortin, au bout de la pointe, tu vois ? Tu vois, dis ? » « Ben non, je ne vois pas… » faut dire qu’Aglaé, sa vue est particulièrement basse. Ca fait dix ans qu’on vit ensemble, presque autant qu’on navigue ensemble, je n’arrive pas à m’y faire. « Bon, regarde le gros truc sur la côte. Le petit truc blanc en bas. Le voilier qui sort. Le pont. » « Je n’y vois rien, t’es con ou quoi ? » Bref, au bout du bout du truc derrière le machin, l’entrée de la marina de Oeiras. On y va, on affale, on rentre, 2 à 3 nds de courant… on se met ou ? Tiens, le truc de carburant… C’est quoi leur canal VHF ? Sûrement pas le 09, je viens d’essayer… Bon, tant pis, on se met ici ! Merde, j’suis pas prête ! Tu mets la cravate, j’y vais. Zut, zut et zut !!! T’y arrives trop vite ! Je bats un peu en arrière, je mets le coup de barre habituel… ces rafales perverses me poussent le nez dans le ponton ! Connerie ! LA PEINTURE ! LA SUPER PEINTURE D’ADOLFO !

Tu vois ce que ça veut dire, « se manger le ponton » ? Ben moi, je vois !

Le reste, cool. On ficelle tout propre, on va à la Marina, les jeunes disent qu’on peut rester là jusqu’à demain matin, on paie, on se met à une table sur la terrasse, on regarde les photos des peintures de la digue de Horta que tous les gars qui sont passés par les Açores connaissent (tiens, t’as vu le nom du bistrot ? Le Peter Café Sport Lisboa…) et on attend Adi. Adi, c’est le type avec le gros sac à dos, là, tu vois, celui qui arrive…

Demain, on va déménager au Doca Alcàntara, près du centre-ville, en plein Estuaire du Tage. On va faire un peu de tourisme. Ensuite, on va filer au sud. Les ports qu’on craint, la grosse « nortada », la grosse houle du sud du Cabo da Roca, le Cap Saint Vincent et ses rafales à 30… mais ça, c’est après. Pour l’instant, on se calme, on dort, on visite la ville. On verra demain !

Boa noite, amigos

El Capitàn

Considérations hâtives sur la navigation au Portugal, ou comment on descend, en moins d’un mois, de Vigo en Algarve. Roz Avel au pays du « bacalhau ». (première partie)

Cangas – Porto. Vinho verde, sardines, azulejos.

Petite larme. Notre ami Javier est resté sur le ponton, nous regarder partir. On en a, des amis, à Cangas. Nous sommes devenus des amis de Cangas, que dis-je ? Nous sommes devenus des cangaceiros à part entière, des bouffeurs de poulpo a feira, de chipirons, des habitués du Café National, de la Taperia El Portujès (Betty, si tu nous lis…), du magasin des fruits et légumes Katuxa, du marché aux poissons et du Dià de l’Avenida de Bueu. Des promeneurs de chiens du coté de la Fàbrica Masso, des promeneurs sans chien du coté de la Praia de Rodeira. Pas très bons en galego, mais pleins de bonne volonté. Mais maintenant c’est derrière nous. Roz Avel pousse vaillamment de l’eau devant la digue qui siffle, devant les cabanes en tôle des pêcheurs et devant le chantier d’Adolfo Gallego. On pousse un peu les gaz, on met le cap vers La Borneira et on décide d’aller longer les Cies, histoire de les voir d’un peu plus près. L’équipage se porte bien, Cristina, notre nouvelle recrue n’a même pas le mal de mer. Sous le soleil galicien, cette balade au rythme de fado commence très, très bien.

jeudi, 12 juin, 13h30, Cangas do Morrazo. Lat 42° 15,64N, long 8° 46,76W
Vent – 3-4Bf du S, tournant doucement SW, ensuite W. Mer – belle à peu agitée. Visibilité +10Nm, cap – à vue, vers les Cies, via La Borneira et les « bateas » devant Aréamilla. Baro 1020. Vitesse fond 3-4kts, au moteur à 1800RPM

Nous quittons Cangas par une petite brise du Sud, pas du tout ce qu’il était prévu mais dans la Ria, le vent est prisonnier des divers effets Venturi générés par toutes les pointes successives. Après Punta Baléa et La Borneira le secteur ouest s’installe, et en arrivant vers les Cies le NW prévu est devant nous, avec des claques de 16-17kts. On avance au moteur, pour l’écouter attentivement. Tout va bien. On décide de mouiller devant la Playa de Barra, exactement au même endroit que l’année dernière. Pique-nique devant la plage, une première pour Cristina. La « pioche » est au fond à 15h, la salade de riz est dans les assiettes, vingt minutes après tout ça rejoint nos estomacs affamés par les premières heures de mer après neuf mois.
16h00, Praia de Barra. Lat 42° 15,17N, long 8° 51,33W
Excellent mouillage à l’entrée de la Ria de Vigo en venant du nord. Il y en a un autre, plus petit, juste à la pointe de la presqu’île de Morrazo, derrière le Cabo de Home, mais d’après Luis il encaisse des retours de houle assez désagréables.
Le vent passe au NW, puis N, 6-8 kts, forcissant à 10 kts dans le Canal de Norte. Mer peu agitée à agitée, petit clapot, visibilité +10Nm. Vitesse fond entre 2 et 6kts. Vers le Canal de Sur le vent tombe complètement. Roulement complet du génois, route sur Baiona sous GV et moteur. Arrivée somptueuse dans le soleil du soir, accompagnés par deux dauphins qui nous souhaitent la bienvenue au milieu du mouillage. Cette croisière commence bien.

vendredi, 13 juin, 11h00, Baiona. Lat 42 07.25 N, long 008 50.33 W
Vent – 6-8 nds  du NNW. Mer – belle à peu agitée. Visibilité +10Nm, cap – à vue, vers les ilôts devant Baiona, ensuite Cabo Silero et direction Viana de Castelo, plein sud. Baro 1020. Vitesse fond 5-6nds, ensuite 6-7nds, courant vers le Sud env. 1Noeud jusqu’au Rio Lima.
Moteur et GV jusqu’à passer les bouées des Iles Seralleiras, GV+Ge+moteur ensuite.

12h30, Islas Serailleras
Je ne peux pas m’empêcher de regarder dans l’eau. Je ne peux pas. Je sais que là-bas, au fond, il y a mon hélice. Et le regard que je jette aux Îles Cies, au loin, est quand même un peu inquiet. Cependant, durant toute la matinée, par une météo magnifique, on file vers le Cabo Sileiro sur une mer d’huile. Un tout petit flux du NNW nous garde les voiles gonflées, mais il est sûrement trop faible pour nous pousser jusqu’à Viana avant la nuit. Alors on fait appel à Perkie.
16h00, Au droit de La Guardia et du Rio Minho, le waypoint du passage de frontière.
Ça fait un an qu’on attend ce moment. Alors c’est dans les hourrah de l’équipage et accompagnés par les cabrioles d’un troupeau de dauphins qu’on amène le pavillon espagnol et on envoie son copain rouge et vert. Il est beau le drapeau portugais, avec sa décoration dorée sur fond bicolore. Et il flotte beau dans les haubans. « En fond de drisse, j’t’ai dit. »
« Mais non, il va encore s’abîmer a taper dans les haubans… on doit le laisser un peu plus bas. »
« L’étiquette maritime est claire la-dessus. Tous les pavillons doivent être envoyés en fond de drisse, collés contre les barres de flèche. Sinon ça fait con. »
« Bon, ben ça fera con. Moi je n’ai pas envie de racheter des pavillons de courtoisie tous les jours. ». Article numéro 1. L’armatrice a toujours raison.
Et c’est en catimini, un peu plus tard, que j’ai serré un peu plus le pavillon contre la barre de flèche. C’est vrai, quoi. Ça faisait con.
19h30, Deux milles à l’intérieur du Rio Lima, le ponton d’attente de Viana do Castelo.
L’entrée dans le Rio Lima se fait sans souci aucun. Le courant dans le dos, on file à 6 nœuds facile, moteur au ralenti. La, c’est clair, il y a au moins 3 nœuds qui nous poussent au cul. Faudra voir comment ça se passe, il paraît qu’il y a un pont, que le port est fermé en général… Tiens, il y a un gars sur le ponton qui fait des grands signes !
On est bons pour faire un tour à l’intérieur du port.

« Vous faites quelle longueur ? » s’époumone le marinero dans un français parfait.

« 13m ».

« Bon, ben c’est trop long. C’est mieux dehors. Je vous y attends pour vous aider. »

Petit rond dans l’eau du Rio, à nouveau. A la sortie de la passe du port, un gros tronc d’eucalyptus nous évite de justesse. Tant mieux, parce que nous, on ne l’avait pas vu… Le marinero nous prend les amarres, on se colle parfaitement au ponton, juste devant un Super Maramu brillant de tous feux, à pavillon suisse. Le couple du bord, on l’apprendra plus tard, attend des vents un peu plus cléments pour monter vers la France. Pour l’instant, avec la nortada qu’on se paie en ce moment, ils sont bien ici, dans le Rio Lima. Et Viana est une ville superbe.

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Viana nous attend avec une Fête Medievale dans toute la vieille ville. Le lendemain Cristina file jouer aux touristes, moi je file faire quelques croquis. L’armatrice traine au bateau. Viana, magnifique, cuit sous le soleil. Belle, habillée de noir, sous les chants médievaux des haut-parleurs parsemés un peu partout. On est de nouveau en voyage, et c’est bon.

La veille au soir, une copa de vinho verde. Elle nous manque, la Galice, avec ses verres d’Albariño accompagnés sans exception de petits pinchitos, et vas-y pour un bout de tortilla, et vas-y tu goûteras bien quelques mejillones. Ici, nada. Le pinard (pas mauvais, d’ailleurs) et puis c’est tout. C’est ça que tu paies, c’est ça que t’auras.

Pingo Doce. On n’est plus en Galice, on n’a pas les mêmes enseignes commerciales. Pas mal de boites qu’on connaît de France, ERA Immobilier, Afflelou, se partagent les devantures. Mais le meilleur Supermercado est bien le Pingo Doce. Une grosse poignée de sardinhas pour une petite poignée d’euros. Belles, brillantes, argentées. Elles finiront à la poêle, avec un peu de légumes, quelques batatas. Un régal.

Ça toque à la coque. C’est l’heure de la sieste, mec ! Oui, oui, je sais, le gars nous l’avait dit tout juste en arrivant, « Attention, ici ce n’est plus l’Espagne, ici on ne fait pas la siesta ! », mais moi, je m’en fous, je suis le capitaine, je fais ce que je veux. « Do you mind moving a bit your boat ? I’ll help you… ».

Le marinero du jour ne parle pas français. Il est un peu plus âgé que celui qui nous avait accueilli hier, et il nous montre un gros bateau en acier, pavillon allemand, qui tourne en rond pour prendre une place au ponton. Le temps de tirer sur les amarres, l’allemand est déjà rentré dans le port. Et pour cause. Derrière, un autre voilier attend pour se coller contre le quai, et pas qu’un petit. Pavillon anglais, Red Ensign. Un vieux type à la barre, une jolie asiatique sur le pont et un gars baraqué à allure de SAS dans les passavants, des défenses à la main. Ils viennent d’où, ces mecs ? Jersey. Ah bon, d’accord…

Le Victory 57 s’approche du quai à grands renforts de truster. Ah, ces propulserurs d’étrave et leur bruit caractéristique de casseroles fêlées, je ne m’y ferai jamais. Le marinero, de plus en plus blanc. Je le rassure. « Don’t worry, we’re here, we’ll give you a hand. »

Le gars baraqué file à Nathalie un bout, pour faire une garde. Manque de bol, il ne l’avait pas attachée au taquet du pont… Heureusement que la jolie asiatique nous envoie une autre, fixée au bateau, celle-là. « OK, I’ll make a spring with this one » je lui dis. Le vieux, lui, ne bouge pas de la barre. Jersey, quoi. Ca y est, le bateau est stoppé sur son erre, par la spring. Le marinero reprend des couleurs normales. Le gars baraqué reprend ses esprits et nous file une amarre avant. Le vieux, toujours scotché à la barre… Jersey, quoi.

Plus tard, à la capitainerie, le marinero ne compte plus ses remerciements. Et voilà qu’on nous met dans la classe « moins de 12m »… et qu’on ne nous fait pas payer les douches, ni la machine a laver… « Vous, vous êtes sympa. Tous les skippers ne donnent pas de coup de main aux marineros. C’est rare, par ici. »
Départ le lendemain, objectif Marina Douro, à Vila Nova de Gaia, Porto. Pour ce qui concerne Viana, nous en garderons un excellent souvenir.

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Dimanche, 15 juin, 11h15, Viana Marina. Lat 41 41.55 N, long 008 49.28 W
Vent – 12-14 nds  du NE, raf. 17-18, faiblissant vers midi à 3-4nds, forcissant à 14-15nds vers 14h
Mer – peu agitée. Visibilité +10Nm, cap – à vue, ensuite 206° pour l’entrée du Douro. Baro 1020. Vitesse fond 5-6nds, ensuite 6-7nds, courant vers le Sud env. 1Noeud jusqu’au Rio Lima.
Envoi un peu paresseux de GV dans le canal, route sous GV ris de fond et GSE, vers SSW.

On traîne un peu a envoyer la GV. On perd un peu de temps, le capitaine râle. Vers midi le vent, avec une composante thermique, forcit avec des rafales à 17-18 nœuds. 2-3 petits cargos font route vers Leixoes, les casiers de pêche sont clairement beaucoup plus nombreux qu’en Galice. « Tu vois, Cristina, c’est ça, l’ennemi publique n° 1 en ce moment. C’est à ça que tu dois faire attention, par ici. »
11h30, on longe les km de plage du nord-Portugal, GV ris de fond+GSE
Une fois que le vent finit de tourner à sa place, le secteur nord habituel dans ces contrées, il forcit sérieusement. Pour le confort de tous, quelques tours dans le génois nous mettent plus ou moins à l’endroit. Heidi, le régulateur, gère sa barque de main de maître, tout va bien dans le meilleur des mondes. J’ai en tête le capitaine Rémi, avec son grand classique du coté du désert des Agriates, « On n’est pas bien, là ? »
Nous longeons Povoa de Varzim. Réputé un des moins chers ports de plaisance du pays, il est aussi connu pour bouger pas mal dès que la houle rentre dans le bassin, pour ainsi dire tout le temps. Pour notre part, nous avançons vers l’entrée du Douro, en traversant la route d’entrée du grand port de commerce de Leixoes (port de plaisance aussi, dans le fond de cette banlieue industrielle de Porto). Notre choix à nous, c’est la Marina Douro, à Vila Nova de Gaia, sur la rive gauche de l’estuaire. Excellent choix.
A serrer la digue nord d’un peu plus près, il y a peu d’eau vers le coté sud. Facile a dire, mais sous les claques à 22-25 nœuds de la nortada les choses ne se passent pas toujours comme on veut. Un petit voilier local nous montre la route, en passant tout droit au milieu de la passe entre les deux longues digues qui protègent l’accès dans l’estuaire. On le suit, moteur et grand-voile, la nortada par le travers. Contact VHF avec la marina, sur le 9. Ils nous envoient un « comité d’accueil ».
Profondeurs constatées entre les digues, à l’entrée, minimum 7,20 sur quelques dizaines de mètres, ensuite ça remonte à plus de 11m, c’est quand même loin des 4m et des poussières annoncés par la carte (un peu ancienne) de l’Open CPN du bord. Ils ont du draguer. Petit effet de barre, quand même. Ça doit secouer bien plus lorsqu’un coup du sud pousse contre le courant sortant du jusant.
Un semi-rigide se jette sur nous, un gars costaud aux commandes. Il nous fait signe de le suivre. Entrant dans l’avant-port, derrière le petit voilier qui nous avait montré le chemin, il nous fait arrêter le bateau, en attendant qu’il nous attribue une place. Voilà. Une place au cat-way, bien coincée derrière le poteau de fixation, une grosse vedette en face… avec les rafales sevères de la nortada ça me paraît un peu scabreux. « Can you push us a little ? » Le semi-rigide se projette contre l’étrave, du haut de ses 75 chevaux. Roz Avel est mis en ligne, manu militari, deux dames nous prennent les amarres, le marinero saute sur le ponton et nous fixe une garde. Il s’essaie au français.
« Excusez, j’ai cru que vous aviez une hélice de proue… Et mon pneumatique a une commande de gaz un peu dure, pas adapté à pousser votre bateau… Désolé ! »
Prise de ponton 19h15. On range et on se repose. Nous sommes arrivés.
Porto, un charme fou. La rive droite du Douro, le long de la ligne du tramway, est une succession de petites et grandes merveilles architecturales, un ensemble d’arcades, d’églises à la façade habillée d’azulejos, de petites maisons qui grimpent les unes sur les autres et toutes s’accrochent à la colline. La rive gauche, c’est la rive des caves, là ou le vin de Porto maturait depuis des siècles, sous la surveillance attentive des importateurs anglais. Bloqués dans leur élan de buveurs de Bordeaux par les troupes napoléoniennes, les fins connaisseurs de la perfide Albion ont été obligés de trouver un remplaçant. Ce fut le vin de la vallée du Douro, passé dans les cales des navires à trois mâts qui le transportaient via Madère et les Açores (Madère ou on fait aussi un excellent vin, et dont le phénomène de « madérisation » est parti, pour apporter au Porto ce goût si particulier). Le vin vieillit de façon accelerée dans les barriques du fond de cale, bercé par la houle de l’Atlantique. Arrivé à Plymouth il a séduit les marchands de vin et les amateurs éclairés, qui ont tenté de reproduire le processus. Ainsi fut né le Porto.
Sur le terre-plein de Marina Douro, sur un ber solide, repose (temporairement) un superbe côtre en bois, construction traditionnelle. Il a le bordé coté ouest couvert par une bâche. « De l’ombre sur la coque, j’ai eu peur, avec le soleil les bordés se sout ouvertes… » Le type qui le bichonne, c’est David, un anglais, qui navigue dessus depuis quelques années. Au début sans beaucoup d’équipement, David y a rajouté au fur et à mesure une vache à eau, un cabinet de toilettes, de l’électronique. Le bateau attend d’être mis à l’eau, il y reste quelques touches de peinture. David nous interpelle, dans le salon de la Marina Douro. « C’est quoi votre bateau ? » sachant presque déjà la réponse. « Ah, le côtre blanc, là… je l’avais remarqué, il est superbe ! ».
Le soir, nous nous installons, avec Cristina, dans la Taberna Sao José, à Affurada. Comme par hasard, s’y retrouvent les figures de proue de la Marina Douro, quelques français entre deux ou plusieurs ages, attablés sur la terrasse, avec un gros morceau de poisson grillé devant eux. Dans la salle, seul à une table, une crinière frisée et blanchie par le sel et le soleil. David a plus ou moins fini de manger… nous lui faisons signe de se joindre à nous, de partager notre pichet de vin blanc. Commence une soirée sympa, a parler bateaux, construction, problèmes de gréement et autres plans de navigation. Sur la comète, bien sur…

Porto, Marina Douro, Affurada… Je recommence a me sentir en route. Pour ou ? Ben, pour l’instant, demain, pour Aveiro… ensuite, on verra, inch’allah.

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A bientôt mes amis, la suite est dans les cartons.

Le capitaine

Les boules, la trouille, la flippe. Nav tranquille au Portugal… et « patatras » !

Un jour, tu m’avais ecrit « je sens que vous commencez à flipper grave ». De mon coté j’ai du te répondre des tas de choses, sur la « flippe » de deux ans d’attente et de la trouille de ne jamais quitter le port d’Arzal, sur les boules de partir et de ne pas être prêts, sur des choses qui, en fait, n’ont rien à voir. Maintenant, oui, je sais.

On est partis de Cangas un jeudi, trois jours plus tard que la date qu’on s’était fixés, après un paquet de bricolages de dernière minute qu’on n’avait pas été foutus de faire en neuf mois. Changer en vitesse la batterie moteur. Changer en vitesse le chargeur de batteries, trop petit à l’origine, pour un gros Victron 60A, qui remplit nos batteries à fond à chaque arrivée dans un port (depuis l’achat de Roz Avel, je crois que c’est la première fois que ça leur arrive…). Stresser à mort parce qu’après le changement du chargeur, le moteur ne voulait rien savoir (le coup de clef ne donnait rien, même pas un petit « clic », comme si une fois de plus le démarreur était mort… merci à Javier, qui a fait une série de tests et qui a constaté que les cosses « – » étaient mal serrées… ce brave Perkie démarre comme une fusée et tourne comme une horloge).

Faire la fête avec les « chavals » du Club Nautico de Rodeira, nos amis et adversaires en Liga Caravelle. Faire un repas avec notre famille de Cangas, les Javier et Sofia de Rigel et Cuqui et Jorge de La Nina. Verser une petite larme, au petit matin, en promenant le chien devant la Fabrica Masso ou sur la plage de Rodeira, sur la digue du port de pêche ou du coté de Areamilla. Cangas, mon amour… on reviendra l’année prochaine, c’est sur.

On est partis de Cangas un jeudi. On a décidé de faire une virée devant les Îles Cies, pour les montrer de près à Cristina, notre nouvelle équipière. Entre temps on a décidé aussi de mouiller devant la plage, dans l’anse de Barra. Exorcisme ? Retour sur les lieux qui nous ont conduit d’une façon indirecte a passer neuf mois en Galice, a nous attacher à cette ville, à ces gens, a apprendre l’espagnol « de la calle » et a se faire quelques incroyables amis ? Qu’en sais-je… peut-être. Por la tarde, on mouille devant les corps-morts du Club de Yates, à Baiona, à coté de deux bateaux anglais, rejoints par la suite par un voilier français. « A Baiona, tous les voiliers étrangers se mettent à l’ancre. Tu regardes, et là ou t’en vois, tu te mets aussi » nous a dit Luis. C’est comme ça qu’on a fait.Depuis le moment qu’on a passé la jetée de Cangas, une grosse boule s’est installée dans mon ventre. La trouille. La « flippe ». L’angoisse. Si au moment de jeter l’ancre le guindeau ne fonctionne pas ? On n’a pas eu le temps de tester le guindeau. Et si le moteur ne démarre pas ? On l’a testé, lui, mais bon… et si… et si… Voilà, mon ami, ce que c’est, de flipper. C’est de sortir de la baie de Baiona, d’entre les cailloux des îles Serralleiras, de voir les Cies sous exactement le mémé angle que le 12 septembre dernier (tiens, nous sommes le 12 juin…) et d’aller sur la plage arrière pour regarder l’hélice (ben oui, idiot, elle est encore là… qu’est-ce que tu viens imaginer encore ?). C’est de remonter la rivière de Viana do Castelo AVEC le courant, sans aucun souci, et d’imaginer ce que serait que de louper son amarrage (qu’est-ce qu’il nous veut, cet énergumène, qui nous demande d’aller à l’intérieur du port pour nous amarrer cul au quai, comme les marseillais ? J’aime pô. Je sors. Je vais au ponton d’attente, devant un Super Maramu à pavillon suisse. Je m’amarre comme un chef. Mais que diable viens tu imaginer encore, couillon ? Serais-tu en train de penser à la sardine, dans l’entrée du port ? Mais nôôôn… c’était un énorme tronc d’eucalyptus qui flottait sur le Rio Lima et que t’aurais pu te taper en plein dans l’étrave, si t’avais été aussi scoumounard que tu le penses… t’as vu ? Tout va bien).

C’est de filer vers Porto, après un départ tardif, et de se demander si l’entrée dans le Douro va se passer tout comme il faut… j’ai vu 4m à un endroit, entre les digues… je cale 2, si il y a 2m de houle on va taper… t’as vu, il vaut mieux passer a raser de près la digue nord, il y a plus d’eau… merde, il y a des barcasses de pêche, que fait-on ? Ben on passe à coté, tiens, tu vois le voilier là-bas, il est d’ici, on le suit. Pareil. Courant. Appel à la VHF. Un semi-rigide vient nous guider à notre place. Le mec nous pousse un peu pour qu’on tourne bien vers le ponton, il s’amarre rapidement et va nous aider. Nickel. T’as vu, ça s’est bien passé…

C’est d’embouquer la ria d’Aveiro avec le courant dans le dos, de penser tout le chemin jusqu’à arriver à la passe (barre ? Quelle barre?) que la renverse n’aurait pas lieu à l’heure que tu pensais, que le courant (bon, je te l’accorde, il y avait quatre nœuds dans le dos) te ferait tourner en bourrique et te foutrait sur l’enrochement… que le mat ne passerait pas sous la ligne électrique…Le matin, partant d’Aveiro, à l’étale de pleine mer (marnage de 1,80m, pas de quoi fouetter un chat) j’ai commencé à flipper moins.

On est allés à Figueira da Foz (moche, sans âme, sans vie, bizarrement j’ai même trouvé les gens désagréables – faut dire qu’après les bénévoles du club AVELA, d’Aveiro, c’est dur de trouver plus généreux et sympathique, sauf à Cangas, bien entendu) et on s’est mis au ponton comme des « Patrons de Yate » que nous sommes.

On est partis le lendemain matin, pour aller à Péniche, et le temps s’est un peu énerve, alors on a fait une entrée triomphale dans le port de Nazaré. On a organisé la soirée dans un timing d’enfer, pour se réveiller le lendemain matin à 6h, tout préparer, prendre un p’tidej rapide et quitter le ponton à 7h30. On va a Lisboa. On va à Doca Alcantara, même si on arrive tard… tinkiett, Cristina, on y sera, si c’est dans la nuit, c’est pas grave, tu iras à ton hôtel demain, mais ça sera une belle journée de nav, un peu musclée.

Mon angoisse, ma flippe, mes boules ? Disparues. Je tenais le bateau en main, les 15 « toneladas » de Roz Avel écrasaient la houle de face sous les 5-6 nœuds de vitesse, je gérais le compromis cap-vitesse de la plus belle manière, je visais le petit trou entre le Cabo Corveiro et les Berlengas, quand cette conne est arrivée mettre fin à ma tranquillité.

Une vague, une seule, depuis ce matin, a décidé de déferler devant l’étrave. Juste devant. Et Roz Avel s’est élevé sur la pente escarpée creusée sous l’ourlet d’écume, est tombé derrière, et boum… c’est quoi cette connerie qui se balade le long des haubans tribord ? Qu’est-ce qu’elle fait là, cette conne de gaffe ? Elle était attachée dans le pataras… MERDE ! LE PATARAS !

Un pataras isolé, c’est un câble avec des pièces de connexion-isolation en tête de mat et au dessus des ridoirs. Ça permet au câble de servir d’antenne, ce qui en théorie doit apporter un gain considérable… en ce qui nous concerne, au récepteur BLU, que je n’ouvre pour ainsi dire jamais. Alors le pataras isolé, pour moi, c’est une seule chose – UNE SOURCE D’EMMERDES POTENTIELLE. Le connecteur-isolant du bas, habillé et scellé dans une capsule de plastique dur, est une pièce compliquée en inox, qui a copieusement rouillé sous sa gaine en plastique jusqu’à casser en petits morceaux sous le coup de fouet du mat, pompant dans le creux sous la déferlante. Le plastique, lui, n’a pas pu tenir le coup, normal. Alors le capitaine, lui, il a fait quoi ? Ben il a essayé de tenir le coup, lui.

Premier geste. Taper dans le capot de la cabine arrière. « Tu sors ? »

« C’est quoi ? T’as tapé un casier ? »

« Non. Tu sors, j’ai besoin de toi ! »

« Oui, oui, j’arrive… »

« Démarre le moteur ! » Je roule le génois. Il a un mal fou a venir, sur le coup je ne pige pas pourquoi. Ben oui, l’étai est tout mou… « Tu vas au pied de mat et tu descends la grand-voile au troisième ris. Si j’ai bien calculé, il doit tomber au droit du point de reprise des bastaques. Vas-y, vite. Attends, que passe cette série de vagues. Allez, vas-y. ».

« Et ensuite, j’en fais quoi? »

« Fais-y un noeud de bosse »

« Sais pô faire »

« Bouge pas j’le fais, moi »

Assurer dans tous les sens le pataras avec deux vieilles drisses, le ligaturer contre le ridoir, histoire de tenir un peu le mât si il pompe trop. Ensuite, cuisine, comme d’hab. Cristina nous regarde un peu surprise. Ben oui, quoi, on n’est vraiment bons que dans des moments de crise. « Ça y est ? Allez, dépêche toi… Bon, je vire ! ». Le bateau prend le cap inverse, direction Nazaré., sous GV super-arisée et moteur. On file à 6-7 nœuds, le vent a forci, l’anémo annonce 20-22 de vent réel. On trouve quand même le moyen de lui faire répéter le nœud de chaise, à Cristina. « Pas comme ça. Le serpent doit faire le tour de l’arbre, par ici… ». Elle doit vraiment nous prendre pour des fous illuminés.

En arrivant devant le port, on évite une fois de plus les 250 casiers qu’on a déjà évité hier soir, ce matin… on commence à les connaître par cœur. Et voilà, c’est bon. On est à l’abri. On s’amarre sportivement au ponton, même place. « Vas-y, Cristina, mets l’amarre au taquet. Allez, quand je te dis, tu tires. Vite. VITE ! Voilà, c’est bon. » On se met à table, grosse salade de riz. Un coup de Vino Verde, et trois ou quatre cafés. On est un peu secoués, tous les trois…

Ça toque à la coque. C’est Philippe. Philippe est ici depuis presque un an, il remet d’aplomb un bateau de 56 pieds en acier, pour partir en Antarctique avec. Il a déjà lu tout ce qu’il avait en stock, et il voudrait savoir si on n’a pas de livres a échanger avec lui. Il monte a bord, je refais un peu de café. De fil en aiguille, il me parle d’un voisin anglais qui est chaudronnier, de lui qui a un stock de pièces d’inox qu’il peut me filer pour faire un sertissage, on discute solutions techniques… Je sens qu’on retrouve l’ambiance de voyage, qu’on a connu l’année dernière. Ça y est, on est vraiment partis.

Mais quand même, Gwendal, là, je suis en train de flipper grave !

N.B.

J’ai pensé, dans l’urgence, de supprimer la pièce d’isolation-connexion à la con, de virer même le ridoir, de poser une cosse et des serre-câbles un peu à la Moitessier et de fabriquer un palan en cascade, en dynéema. C’est facile a faire, j’ai du dynéema à bord, et ça permettrait de repartir. La deuxième idée serait de remplacer complètement le pataras par un nouveau, en King Rope. On n’en a pas, il n’y en a pas à Nazaré., mais on pourrait en chercher à Lisbonne. Si on en trouve. Faut faire des méga épissures, aller en tête de mat, sortir le câble actuel de ses fixations, monter celui en King Rope et raidir le tout avec le même palan en cascade, qui de toute façon est a faire. La troisième serait de faire faire un câble en inox, avec une terminaison qui peut être reprise en tête de mat et un œil serti à l’autre bout. Dessus, le même palan en cascade. Ça ne devrait pas coûter si cher que ça. Et la BLU ? BLU on s’en fout. Si quelqu’un a une meilleure idée, je suis preneur.

Bien a vous,

Un capitaine angoissé

Update, 7 juillet 2014

Le pataras a été réparé, on a commandé un câble avec deux œils sertis à Lisbonne et Nath est montée au mât pour l’installer. Tout va bien, maintenant Roz Avel se dandine au mouillage de Ferragudo, à Portimao, en Algarve. A bientôt, mes amis.

1,2,3 – la Liga des Caravelle – la régate d’Aglaé

Nous nous sommes inscrits à la Liga de Caravelle, un peu poussés par le comité organisateur pour qui on avait réalisé l’affiche de l’événement. Cette série de régates s’organise à bord de trois Caravelles du Club et s’y sont inscrits neuf équipages composés de trois équipiers. La chose s’organise ainsi : les trois caravelles concourent ensemble sur un parcours-banane, en trois manches, avec changement de bateau entre chaque manche. Au final, tous les équipages devront s’affronter. Les bateaux sont en quelque sorte des monotypes. Ils ont tous été moulés sur la coque d’une vieille Caravelle en bois, dans les années 90, mais la monotypie n’est pas strictement respectée, les voiles ne sont pas strictement les mêmes, le poids de la coque varie d’un voilier à l’autre, d’où le besoin de changer de bateau entre les manches.
C’est très amateur et rustique, mais l’ambiance est là, celle des régatiers.
Nous ne sommes pas des régatiers du dimanche mais il faut bien le reconnaître, sur l’eau on essaye toujours de gratter le voisin comme s’il était un concurrent, nous donnant l’occasion de bien border nos voiles, d’être au poil dans les manœuvres de virement. C’est un petit plaisir qu’on ne boude pas.
Donc ce matin après une courte nuit, couchés à 5h30 pour cause de visionnage de l’excellente série britannique Strike Back, merci Gwendal pour le tuyau, nous nous levons péniblement à 9h pour nous présenter au rendez vous de 10h pour notre régate.
Malgré un bon petit déjeuner, je me sens un peu dans le brouillard, mais je ne m’inquiète pas. Je me suis bien habillé, pour ne pas avoir froid et être à l’aise en même temps. Nous retrouvons Carlos qui sera a bord de son voilier, en guise de bateau comité, il rigole de nos mines un rien défraîchies et nous explique comment ça va se passer, le parcours, le changement de bateau etc. Pendant ce temps les autres équipages arrivent.
Manuel vient nous retrouver à son tour, c’est notre troisième équipier, un mordu de régates de voile légère, c’est une bonne recrue.
Le bateau est rapidement gréé, c’est du sommaire, Manuel nous explique les petits réglages, pour ne pas que la bôme se sauve, pour que la GV soit bien étarquée, deux-trois petits trucs et pendant un petit réglage sur l’arrière de je ne sais trop de quoi ils se prennent, Florin et lui, la bôme – sur la tempe pour Florin, sur le haut de la tête pour Manuel. Je me dis mentalement « c’est une communion qui devrait souder ces deux là, si besoin était ».
Et c’est parti mon kiki, le bateau file bien sur l’eau, on a du vent et un peu de mer. Les rôles sont définis ainsi, je suis le numéro 1, je m’occupe du foc, Manuel est l’équipier qui s’occupe de la GV et de la dérive et Florin est le barreur (el patrón, comme on dit ici).
Nous prenons un bon départ lors de la première manche, sous les directives de Manuel (en espagnol bien sûr, j’ai omis de le préciser). Il me dit où je dois m’asseoir pour bien équilibrer le bateau et ne pas le gêner, m’expliquant aussi que si le bateau prend de la gîte, on ne doit pas choquer la GV, mais que je me mette au rappel. Ça marche pour moi, j’aime bien mon poste, c’est le plus mobile, je n’aurais pas froid. Autant dire que mes sens sont aux aguets, plus du tout fatiguée et super attentive aux «ordres » de Manuel, qui n’arrête pas d’en donner quand ce n’est pas des compliments et ça fuse les : « Florin, baja, baja ! Velocidad, velocidad Florin ! » il y a aussi des « muy bien, perfecto » Il n’arrête quasiment pas de parler, Manuel – je dis à Florin qu’il va être aphone à la fin de la régate, mais finalement non. Avec les bons conseils de Manuel et les bons réglages nous finissons premiers de cette première manche tout contents après un départ pourtant en bon dernier.

Celle-là on va la gagner

Caravelles à couple pour le changement des équipages

Nous passons sur un autre bateau, en se mettant tous à couple, via le zodiac du Club, et commençons à arranger un peu les réglages, puis nouveau départ cette fois en tête, mais le bateau est plus lourd, on le sent tout de suite et ne finirons que seconds cette fois ci.

A couple du zodiac du Club Nautico de Rodeira

Enfin troisième départ sur le dernier bateau à nouveau à régler. Le vent a forcit. Manuel, qui est toujours en train de régler un truc se retrouve avec le hale-bas de bôme entre les mains, le bout a cassé. Ensuite c’est le support du bloqueur d’écoute de « foqué », comme ils disent, qui s’arrache. Ces petites misères nous feront descendre sur la troisième place malgré un dernier bord de portant les écoutes entre les dents.
Après nous être congratulés, nous ramenons le bateau au ponton de la marina, le dégréons, je plie les voiles et les emporte avec le safran/barre au hangar où on les avait pris. Je sens alors la fatigue me submerger et c’est en petit robot que je regagne Roz Avel en vu d’y prendre une bonne douche bien chaude. Faut dire que la journée n’est pas finie, nous avons notre repas partagé dominical avec les amis de Rigel et de La Niña. On doit d’abord retrouver tous les équipages à la Tapéria pour boire un coup, j’ai toutes les peines du monde à garder les yeux ouverts. Nous retrouvons nos amis et déjeunons d’empanadas, de Muffins salés au poulet et au curry et d’une Feijoada.  Le déjeuner avalé je prie l’assemblée de m’excuser mais il me faut une sieste.
C’est en somnambule que je rejoins mon lit, pour deux bonnes heures de sommeil.
Je n’ai pu dormir plus. Il me fallait raconter cette journée.
Aglaé

Celle-là on va la perdre Blouson rouge sous le « foqué » à bandes bleues – Nathalie Smock vert-flashy à la barre – Florin le troisième, au milieu – Manuel

Crédit photos Club Nautico Rodeira, avec les remerciements de l’équipage de Roz Avel

Deux mats en bois. Un dimanche tranquille dans la Ria de Vigo.

Se réveiller le matin, devant un ciel INCROYABLE. Enfin, se réveiller – c’est beaucoup dire. Voir un ciel INCROYABLE sur l’Ipad d’Aglaé. « Joli, non ? » « Si, si…)

Cangas vers Vigo271013

S’extraire du duvet, sous la pression de Gin. « Mgrrrrrouiashrchgnlanlanlabrrrr »… « OK, j’ai compris. » « Wafurschlchchch » « Bon, bon, j’arrive ». Il veut pisser. Il a le droit. On y va, c’est bon.

goeletteBoire un café. Vite-fait. Enfiler un pantalon. Enfiler le harnais au chien. Bon, c’est parti. Il n’y a plus grand chose de l’indigestion violente d’hier soir. Il n’y a plus grand chose du dernier repas, vu que c’était hier à midi. Et je vous passe la façon dont il a quitté mon corps. Depuis la digue, dans la rade, un peu en dehors de la zone protégée par la digue, deux mats se dandinent, au dessus d’un bateau que je n’arrive pas a distinguer. Un peu brumeux, le capitaine. Un peu brumeuse, la Ria de Vigo aussi.

Je vais chercher un peu de bazar sur Roz Avel. Sur le terre-plein d’Adolfo Gallego, je suis au dessus de tout, la digue, le port, les constructions. Le grand brun baraqué qui bosse pour Adolfo me fait un signe de la main. « Holà ! ». Hier, pendant qu’il frottait le cul d’un 50 pieds flambant neuf sur son terre-plein, il m’a dit quelque chose du genre « Celui-là est plus gros que le tien. » Je sors mon appareil photo. Je regarde sur l’eau vers Vigo, pas loin, juste devant la digue. Je la vois. Muy bonita !

Le ferry est en approche, petit bus local qui transporte entre Cangas et VIgo la population de la presqu’île de Morrazo. Le même qui m’a fait battre en arrière, un jour de septembre. On venait de l’Anse de Barra. Il était 7h du mat. La première chose que je me dis est « Regarde ce con, lui aussi il a l’annexe au cul. »goelette2

Ce « con », lui, au moins, reste au mouillage. Il peut la garder à la remorque, l’annexe. La prochaine fois, j’y penserai.

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N’empêche. Sans ce fâcheux incident, je n’aurais pas connu Cangas. Ni ces points de vue sur Vigo, que les gens de Vigo ne connaissent pas. Le ferry est passé devant la goélette. Sans incident, bien entendu.

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Elle n’est pas mal, la vie, finalement.

Update:

Après midi. Le soleil a fini par percer les nuages, donnant une de ces lumières filtrées dont les Rias Baixas ont l’exclusivité en Espagne. Depuis le royaume des chats on a surpris quelques rayons chatouiller la goélette (australienne, on a appris depuis…). Vous pouvez en voir quelques unes en cliquant sur l’image ci-dessous.

 La goelette

 

14H00, entre Cies et Baiona. 48M de fond. Down under… le bronze ne flotte pas bien. Et on n’est même pas vendredi 13.

Jeudi 12, 10h30 ore locale. Météo (origine zyGrib) : vent entre 5 et 6 kts du NW, faiblissant à la sortie de la Ria, forcissant vers 10 Kts en fin d’après midi Visi >10 Nm. Baro 1020 stationnaire. Route probable – 180° depuis l’embouchure de la Ria de Baiona, jusqu’à l’entrée du Rio Lima

Le vent commence à forcir un peu, le large pointe le bout de son nez derrière les Islas Cies. A gauche – des ilots rocheux couverts par le secteur d’un phare et une bouée cardinale… attends un peu, ça doit être une ouest. On s’est un peu trainés à 3 nœuds au près, pour arriver ici. D’un seul coup le vent commence a rentrer, a tourner un peu plus nord et a remplir les voiles. Le bateau avance, accélère, 4kts, 4,5kts, 5kts. Même 5,2… on commence a entendre l’arbre du moteur tourner (je ne sais pas encore si il faut embrayer ou laisser tourner, pour l’instant je le laisse. Et en tout cas, ce n’est pas urgent).

D’un seul coup, en tournant, il commence a faire un drôle de bruit. D’un gentil frottement tout doux ça devient un genre de crissement sourd, puis des vibrations bruyantes et inquiétantes commencent a se produire. Premier réflexe – justement – j’embraye. Deuxième réflexe – je cours sur la plage arrière. Le troisième réflexe – c’est Aglaé qui m’a demandé si je ne l’ai pas eu… « ben alors… t’as même pas plongé ? » La blague, histoire de pas se tailler les veines tout de suite… Plonger… Ben non, je n’ai pas eu le temps. J’ai juste eu le temps de la voir couler. L’hélice. MERDE !

Il est environ 14h00, j’annonce à Aglaé la nouvelle. « On vient de perdre l’hélice. ». helice-bateaux-3-pales-21508-233491Le reste, c’est de la cuisine. Je décide tout de suite qu’il vaut mieux rentrer à Cangas plutôt que de descendre dans le Rio Lima, à Viana de Castelo, ou on ne connait pas le port et l’entrée peut être délicate, courant dans la rivière et pont (fut-il fait par Eiffel) dans lequel je n’ai aucune envie de m’encastrer. On empanne rapidement, on revient sur nos pas, on se retrouve à nouveau dans la Ria et sans vent. On s’écarte de la rive sud, on avait bien vu qu’il n’y avait pas un souffle d’air. En remontant vers le milieu de la Ria on évite un peu un gros bateau de pêche qui fait des ronds dans la baie (Aglaé me demande si il n’y a pas un signal a envoyer dans la mature pour dire « je suis sous voiles et je n’ai pas de moteur »… ben non, t’es sous voiles, il y a un peu de vent, tu te débrouilles). On se débrouille. On commence a réfléchir comment faire pour de faufiler entre les ferries qui font le va-et-viens entre Vigo et Cangas, on appelle Henri.

Henri est le capitaine de Shenandoah, un joli cotre en alu, basé à Caen, qui a fait un bout de chemin avec nous. Un type solide, ancien chef de base aux Glenans, super sympa, ça ne gâche rien. Ça fait un bien fou d’avoir un gars comme ça à ses cotés. Il ne réfléchit pas bien longtemps avant de dire « bon, ne vous inquiétez pas, je vous prends en remorque. » C’est bien, de pouvoir compter sur les amis. « Henri, on sera devant l’entrée de la baie de Cangas – si le vent tient – dans une heure et demie ». « OK, si ça tombe, si vous êtes encalminés ou autre chose, appelez. Je reste en veille sur le 72 ». Au moins, de ce coté-là, on est parés.

On arrive devant, entre temps une petite brise thermique nous pousse jusqu’à la bouée « danger isolé » qui marque l’entrée dans la baie. On fait des tests, grand-voile et génois a moitié roulé par exemple, on roule tout devant, on songe a établir la trinquette. Henri a fait un tour dans le port, il rappelle. « Roz Avel, Roz Avel ». « Il y a deux places, celle que vous aviez ce matin et une autre, un peu avant. Dans le port vous serez pratiquement bout au vent, je viens vous prendre à couple avec mon annexe pour vous servir de propulsion. » 2,3ch, c’est peu, mais assez pour nous pousser un peu jusqu’au port, dans peu de vent et sans clapot. On tire des bords, sous GV seule et Honda 2,3ch, un coup derrière le ferry qui arrive, un autre derrière celui qui sort, un troisième devant les cailloux avec la statue bizarre «tu te rappelles qu’on y a fait un tour l’autre jour » me dit Henri « fais gaffe, derrière il n’y a pas d’eau » et le quatrième bord, plus le petit HB de l’annexe, plus une risée de la mort sortie de nulle part, nous collent pile contre le ponton. Ouf. Merci Roz Avel, merci son équipage, merci Henri, merci Honda. Et merci Eole pour la risée de la mort.

Bière, « sidra » et une grosse respiration au bar du port. Ça, c’est fait. Maintenant, faut trouver des sous, pour payer au moins un mois de port ici et une hélice neuve. Il va falloir en vendre, des aquarelles.

écrit à Cangas, Ria de Vigo, Galicia… J’avais d’autres projets d’écriture pour ce soir. On a décidé pour moi.

vendredi 13 (j’ai bien dit treize…) septembre 2013

La déconfiture

COUPABLE Je me mets à l’eau. Purée qu’est ce qu’elle est froide, il y a du clapot, du vent, le ciel est gris, tout pour donner envie de ne pas y aller. Mais si, il faut le récupérer, ce mouillage, je m’oblige donc à nager vers le bout et de plonger voir en dessous ce qui si passe. Boudiou, c’est que je n’y vois rien, sauf le bout, j’ai toutes les peines du monde à plonger, je me sens comme un petit bouchon enfin plutôt un gros, bref ça me prend plein d’énergie, je manque de souffle et m’agrippe au canot pour respirer un peu. Je finis par utiliser le bout pour m’aider à descendre, mais arrivé en bas, merde l’ancre est sous le rocher, normal que je ne la vois pas et que ça coince. A peine ce constat fait il me faut remonter vite vite, le manque d’air venant rapidement. Après 3 ou 4 descentes, je n’ai plus froid, mais je suis dégoutée. Le rocher est à environ 3 mètres de la surface donc rien de faramineux, mais je ne tiens plus en apnée comme il y a 20 ans. Je remonte dans le pneumatique en deux coups de reins, m’écorchant le genou sans le sentir, ce qui me mets un peu de baume au cœur. Le capitaine fini par décoincer l’ancre, mais la chaine autour du rocher ne nous permet pas de la sortir de l’eau, elle reste bloquée à environs 1,5m de la surface. Nous rentrons donc bredouilles avec la conviction qu’il faut l’aide des marineros et de leur canote plus puissant et peut être aussi du matériel de plongée.

Aglaé (depuis « down under »)

On est partis sur le coup de 13h. Précisément 13h21, j’ai regardé l’heure, on a 1h30 d’autonomie en essence dans le hors-bord de Little Gu. Armés comme deux cowboys, avec matos pour démonter la pièce de jonction chaine-ancre, histoire de porter chaque morceau séparément, pince, clefs Allen, tout le tralala. Shorty néoprène très seyant, noir, gris et turquoise pour Aglaé, combi à jambes longues pour moi, frileux comme je suis. Marée basse, on file à toute berzingue vers le petit pare-bat blanc et la petite boule rouge, qu’on aperçoit depuis la digue (oui, oui, toute l’aventure était en vue des plagistes, pour mieux amuser la galerie). Rubber Gum à la remorque, le AX3 nous servira de plateforme de plongée, on verra bien.

On y arrive rapidement, nous mettons notre flotte d’intervention bout au vent, je tire sur l’orin de l’ancre. Elle ne bouge pas, une fois la longueur filée dans le canot. On fait quoi ? Hein ? On fait quoi ? Ah, oui, tu m’ las dit, t’as pas pris tes oreilles. ON FAIT QUOI ? Aglaé se lance. L’eau est froide, bien plus froide que l’autre jour, mini coup de vent d’hier oblige. Elle plonge le long de l’orin. « Pas possible, l’ancre est sous un caillou. Je ne la vois même pas. ». Au bout de quelques secondes, elle ressort, rafraichie, s’agrippe au liston de Little Gu. « Elle est froide… » qu’elle me dit. « Je n’arrive pas a rester assez longtemps en dessous. » Elle repart la-dedans. Courageuse, Aglaé. Elle ressort. Quatre ou cinq fois, d’affilée. Ça va, laisse tomber, viens par ici. VIENS PAR ICI ! La communication est un peu compliquée, là… J’essaie de lui faire comprendre par signes de venir à l’avant de Little Gu. Après deux minutes de pantomime ridicule elle me dit « mais parle-moi, je t’entends ».

J’essaie de tirer avec le canot, moteur a mi-régime. Une fois l’orin tendu, ça ne bouge plus. Les 4 Ch du Yamaha ne suffisent pas a décrocher les 25 Kg de la Kobra, plus la chaine derrière. Je reprends l’orin dans le bateau, à nouveau, petit à petit, en secouant. Je sens l’ancre bouger. Après un gros effort j’arrive a la décoller du fond. Elle doit glisser sous, ou à coté du caillou. Je la vois monter, elle est à 1m50 de la surface, mais le tableau arrière de Little Gu s’enfonce dangereusement dans l’eau. Il n’y a rien la-dessus pour amarrer le bout, c’est franchement compliqué, je n’ai pas envie d’arracher le tableau comme j’ai fait avec la marotte. Il faudrait peut-etre essayer de la pousser par en dessous, depuis le fond… « Je n’ai pas le cœur d’y retourner » me dit Aglaé, lorsqu’elle comprend l’idée…

NAUTICO BARRANAVIENS, ON RENTRE. « On rentre ? OK. » « On reviendra demain, avec le marinero qui nous a proposé son aide. Aujourd’hui il n’y a que le papy, tout seul sur le port, puis on est dimanche. On discutera avec ses collègues, on verra ensemble comment on peut faire. »

Voilà. On est rentrés, avec notre flottille, nos combis, notre équipement et notre égo en compote. On est rentrés. Bredouilles.

Le capitaine (depuis la « passerelle » de Little Gu)

CAPTURE OPEN CPN extrait d’Open CPN.

A part le « Danger isolé » il n »y a pas grand chose sur la carte CM-93

ESCARABOTE SUR GOOGLE MAPSextrait de Google MAPS.

Sur une version plus récente on voyait bien le rocher signalé et quelques cailloux autour.