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La nouvelle vie de deux canots. Episode 1 – Decouverte et convoyage

Le petit gardien moustachu nous fait signe. En sortant des douches de la marina, avec Daniel le catalan, nous tombons sur lui. Il parle peu le français, mais le cageot retourné plein de pâtisseries, de pain et de dattes, le geste de la main vers la bouche, le mot « manger » prononcé avec l’accent du rifain parlent d’eux-même. C’est l’Aftour, l’heure de la rupture quotidienne du jeune, et ça se fait avec une gamelle de harira et une poignée de dattes. Et ça se partage.

Je ne peux pas refuser. « Assieds-toi » il dit, me montrant le flanc un peu défoncé d’un jet-ski. « Manger, manger ». Je prends une datte, il me tend un œuf dur… « non, merci, j’ai mon repas qui m’attend, mais je prendrai une pâtisserie, pour partager ce moment avec toi ». Il me file un morceau de pain. Délicieux. Mais je n’ai pas non plus envie de lui bouffer tout son casse-croute. « Chokran ! ». « Laa chokran, ne me remercie pas… ça me fait plaisir, ça fait plaisir à Dieu. Il nous a donné ça pour qu’on le partage. »

C’était après la douche du soir, qui venait après une journée de grattage, nettoyage, démontage d’accastillage et de soleil de plomb. Enfin, sur le port, ça va. Ici, l’été bat son plein depuis un mois, mais il y a toujours du vent. La preuve – mon véhicule, pour aller de Roz Avel à la zone technique – pile de l’autre coté du port, à vingt minutes à pied, en contournant le bassin de la plaisance et celui de la pêche, est mon petit voilier. Little Gu me sert de 4×4, de transporteur de matos et le soir, je me laisse porter, par le travers, pour me détendre.

Ça fait trois jours que j’ai attaqué le taf. Samedi, Simo, le grand marin-en-chef qui manœuvre le travelift, m’a mis sur cales un des deux Brenta 24 qui ont l’ambition de devenir les bases d’un pole voile ici, à Saïdia. Lundi, le deuxième a suivi. Et moi, sur le pont, avec ma trousse à outils, j’ai attaqué de front les vis et les boulons.

L’histoire a commencé il y a longtemps. En réalité, l’histoire à commencé en décembre, lors d’un couscous offert par Pascal aux plaisanciers, à la Taberna del Puerto, le QG des gens de la Marina. En aparté, Pascal nous dit, à Axel et moi, qu’il a fait l’acquisition de deux quillards de régate de 7m50, deux Brenta 24 de fabrication espagnole, sortis de chez Astrea. « Je suis en train de m’occuper des papiers de douane, fiscalement je devrais attendre le début d’année 2015 pour les faire venir. » Début d’année inch’allah. On est allés à Melilla, avec Pascal, le 5 ou le 6 juin, pour les regarder de près. Impossible de les faire naviguer à la voile jusqu’ici. Il y en a un qui n’a plus d’étai, à l’autre il lui manque une barre de flèche. Un HB Yamaha 5Ch 2T (vieille connaissance, pratiquement le même que le moteur de l’annexe de Roz Avel) a été laissé pendant deux ans l’embase dans l’eau et présente une boule de 50cm de diamètre autour de l’hélice, formée de moules, algues, berniques et à peu près tout ce qui peut se fixer autour d’une excroissance qui traine dans l’eau dans les parages. Soi-disant l’autre naviguait encore l’année dernière. Autour du premier, un bourrelet du même conglomérat qu’autour de l’embase habille la flottaison. « Je crois qu’il va falloir plonger » me dit Pascal.

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Pascal Bosson, c’est le capitaine du Port de Plaisance de Saïdia. Il est grand, belge et passionné le régate. « Je veux inscrire l’un des deux à la Semana Náutica de Melilla. Et JE VEUX GAGNER » m’a-t-il dit, une semaine plus tard, lorsqu’on est revenus en force, avec Axel et Alain, pour convoyer les bateaux.

L‘aventure du convoyage, ça nous a bien fait rigoler. On est arrivés, Pascal, Alain et moi, le lundi après midi, vers 18h (a la tarde… presque a la noche quoi). Je vous passe l’épisode du chef de groupe de la police des frontières à Nador, comme je vous ai passé l’épisode précédent du même chef de groupe de la même police du même Nador. On est allés au Yacht Club, Pascal a taillé le bout de gras avec le monsieur qui allait nous remorquer le lendemain, ils m’ont embarqué dans une taperia (que je retiens, ou le patron appelle affectueusement Pascal « el cabron de belgo » et tous les serveurs le connaissent) a attaquer la soirée à coups de tapas et de cañas. Et ils m’ont déposé devant le Hostal Rioja, petite pension tout près du Yacht Club, ou j’ai passé la nuit.

Melilla, un matin calme

Matin calme à Melilla. Café solo. Doble. Je m’en vais au Yacht Club. Ménage et rangement dans les deux canots. Vider les 15cm d’eau qui traine dans les fonds. Sortir toutes les voiles, les plier un peu mieux, les ranger un peu mieux. Mettre à la poubelle la vieille nourrice rouillée, essayer de démonter le HB Yamaha. Pas possible. Virer alors les moules. Ça, c’est fait.

Petite plongée autour des deux canots. Grattage des moules. Mais non, con, pas pour les cuire. Pour les virer de la carène des deux Brenta – dont l’un ressemble à s’y méprendre à nos vieilles connaissances des Rias Baixas – les bateas. La grande spatule s’en va au fond. Coup de bol, j’en ai une autre. Précautionneux, j’ai pris ma grosse combi de plongée, mais finalement la salopette suffit – l’eau est chaude ici. La veste restera sur son cintre. Allez, c’est bon. On y va ?

Pascal arrive de nouveau, avec Axel et Alain. « Bon, les gars, finalement on partira que demain. Le moteur de la vedette a besoin de changer sa pompe à eau, et ce n’est pas possible avant demain matin. Florin, il te reste des sous ? On va coucher Axel à la pension, avec toi, et nous on rentre, moi je dois être à Saïdia ce soir. » « OK patron, no pasa nada. On y va demain. Mais de bonne heure, après ça se lève. »

Faut dire qu’à cette époque de l’année, en prévision du ramadan, un deuxième changement d’heure au Maroc les met à 2H de décalage par rapport à l’enclave espagnole. 8H ici, c’est 6h à Saïdia. Nos camarades seront partis à 5h du matin, accompagnés par un Abdelilah tiré de son lit qui les dépose à la frontière. Alain et Pascal arriveront vers 10h, au final, pendant que moi je cherche un bidon d’essence sur les hauteurs de la ville, sans m’être aperçu qu’à deux pas du port il y avait une grande station CEPSOL… Ça y est, Alain et Pascal à bord du Brenta vidé de son élevage de moules, nous a bord de celui qui a un HB fonctionnel, et c’est parti.

Le HB ronronne gentiment au cul de notre Brenta. On recule le deuxième à la main, hors du cat-way. Aaaah… des cat-ways… j’avais même oublié que ça existait. Nous, on recule. On envoie un bout, on les tire et gentiment, à 2nds, on embraye en direction de la sortie des deux digues, là ou le Maroc et l’Espagne, de gré ou de force, partagent le grande rade des ports de Melilla et de Nador. Pour nous, coté marocain. La vedette nous attend au large, elle n’a pas le droit de remorquer des bateaux dans le port. Petit coup de fil de la Marine Royale marocaine à Pascal. « Je vous vois, vous êtes partis tard… » C’est qu’on est attendus et suivis. Allez, on attache ça aux forts taquets de la vedette et on y va. Sur un vrai lac.

Au fur et a mesure que nous avançons, le vent commence tout doucement à rentrer. Sur le bateau d’en face, ça débouche la bouteille de Rioja. Attachés court, Pascal et Alain sont bien partis pour passer six heures au fumoir, comme des harengs, dans l’échappement de la vedette… Chez nous, Axel attaque un sandwich au saucisson. La technique de coincer le stick de barre… « regarde, Florin, sans les mains ! Sans les mains ! »

On s’approche des Islas Chafarinas. La mer se creuse de plus en plus… « Putain, on aurait du partir deux heures plus tôt » Axel ne rate pas l’occasion de râler. En passant entre le Cap de l’Eau et les Chafarinas, arrêt buffet ! Le bout de remorquage de nos compagnons de route casse net. Comprends rien… Dans les vagues, le nez du Brenta 24 fait des bonds d’un bon mètre. Cachés par la vedette, on voit juste un grand SPLASH, Pascal se précipiter à l’étrave et quelques secondes plus tard Alain émerger de l’eau, trempé. Notre canot, lui, HB démarré mais au point mort, se fait doucement pousser autour du remorqueur au point d’enrouler l’aussière autour de son embase d’hélice… Fallait bien qu’il y ait un peu d’aventure, quand même !

Manœuvrant doucement, on arrive a se dégager sans casse. Les copains d’en face changent de bout de remorquage et c’est reparti. Allez les gars, on se rapproche… « Marina Saïdia, Marina Saïdia, ici Pascal, vous me recevez ? A vous ! ». « Marina Saïdia, Marina Saïdia, ici les Brenta 24, nous nous rapprochons de l’entrée du port, vous nous recevez ? A vous ! ».

A force de s’époumoner, un coup les uns, un coup les autres, on commence à avoir des réponses. Les gars se réveillent, organisent le « comité d’accueil ». On rentre dans l’avant port, on démarre le HB, la vedette largue notre aussière et traine le Brenta des copains jusqu’au ponton. Nous, de notre coté, on fait pareil poussés par le petit Tohatsu 3,5. Allez, on est à poste.

Les gars nous aident à l’amarrage, la vedette coupe le gaz, l’Oceanis 323 qui nous accompagnait sort une bouteille de bière. « Una cervecita ? ». Dans mon sac a dos, j’avais mis de coté une canette d’Estrella Galicia. Pour le souvenir. Les autres reçoivent un verre de la part du capitaine du voilier. Ouf, on est arrivés. Petite visite des autorités. Curieux, les douaniers, la police des frontières, les gendarmes passent leur tête dans la descente des deux canots, pour constater à quel point c’est spartiate à l’intérieur. « C’est ça, les Laser ? » Non, les gars, ce sont des Brenta 24. Mais c’est presque trop tard… depuis, régulièrement, chaque personne du port qui passe devant les appelle pareil. « On sort les Laser demain ? » C’est pas gagné…

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Le lendemain, début de ramadan. Le premier des « Laser » retrouve une place sur le terre-plein. Démâtage sportif, à la main, à l’aide de plein, plein de monde. « Merci, bravo les gars, on n’a rien cassé. » Simo, à la manœuvre, tout fier. « Technique et tactique ». Depuis, le sistership a trouvé, lui aussi, son ber. Et moi j’ai trouvé le grattoir, le papier-verre, le bidon d’acétone, le trousseau de clés. C’est parti !

sur ber

Au prochain numéro, après le tirage, on passera au grattage. Bien à vous.